Page:The universal anthology - vol. 19, 1899.djvu/24

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Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques, » avait dit André Chénier, dans un vers demeure célèbre et souvent encore trop loué. Mais les romantiques, mieux inspires, ont compris que « des pensers nouveaux » ne pouvaient s’exprimer qu’en des termes ou par des moyens d’art également nouveaux ; et c’est même cette rénovation du style et de la métrique qu’on a d’abord admirée le plus en eux. Vigny est plus « précieux, » plus recherche dans le choix des mots, plus embarrasse dans le maniement des rythmes, et, pour cette raison, infiniment moins varie. Sa langue est aussi moins fiche et moins abondante. Celle de Lamartine n’est pas toujours très neuve, ni non plus très correcte, ― ce grand poète est un écrivain négligé, ― mais en revanche, la fluidité en est incomparable ; et la coupe de son vers n’a rien que de classique, mais personne mieux que lui, pas même autrefois Racine, n’a su musicalement associer les sons. Enfin, Victor Hugo est sans doute, avec Ronsard, le plus extraordinaire inventeur de rythmes qu’il y ait eu dans l’histoire de la Poésie Française, et sa langue, un peu banale à ses débuts, dans ses premières Odes, un peu quelconque, ainsi que nous disons, est déjà dans ses Orientales d’une franchise, d’une hardiesse, et d’une originalité qu’on peut appeler vraiment démocratiques, si personne assurément n’a fait plus que lui pour abolir l’antique distinction d’une langue noble et d’une langue familière, et selon son expression, devenue proverbiale, pour « mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire. » C’est ainsi qu’à eux trois ils ont secoue le joug des grammairiens du dix-huitième siècle, rendu aux mots de la langue leur valeur pittoresque, expressive ou représentative, et débarrasse le vers français des entraves qui l’empêchaient de se plier, pour s’y conformer, aux sentiments du poète. Il n’y a pas de lyrisme sans musique, ni de musique sans mouvement, et le mouvement, c’est ce qui manquait alors le plus à l’alexandrin français.

Si tels sont bien les trois caractères essentiels et originaux de la poésie française du dix-neuvième siècle à ses débuts, on peut dire que son histoire, à dater de ce moment, est celle du conflit de ces trois caractères entre eux. Une lutte s’engage, qui dure encore à l’heure