plaine[1], leur répondit-il ; que craindrais-je ? » Et il se remit a savourer d’excellent vin en attendant l’issue des choses.
Ces orgies, cependant, altéraient sa santé ; son visage portait les traces de la fatigue et de l’abattement. Aussi s’étant regardé dans un miroir, il fut épouvanté : « Cette vie de désordre me tue, s’écria-t-il ; dès aujourd’hui j’y mets un terme. » Et il fit défendre dans toute la ville, à qui que ce fût, de boire du vin, sous peine de mort.
Sur ces entrefaites, il arriva que les palefreniers de Héou-Tching (l’un des lieutenants de Liu-Pou) volèrent quinze chevaux, pour en faire présent à Hiuen-Té. Héou-Tching, informé de ce vol, se mit sur la trace de ses gens et ramena les quinze chevaux. Tous les officiers étant venus le féliciter, il fit préparer cinq à six cruches de vin et tuer une dizaine de porcs ; mais comme personne n’osait boire, il alla présenter à Liu-Pou cinq flacons et un plat de viande, puis s’agenouillant devant lui : « Général, lui dit-il, c’est grâce à votre heureuse étoile[2] que j’ai pu recouvrer le bien qu’on m’avait pris ; tous les officiers sont venus me faire une visite de félicitation ; j’ai voulu les traiter en retour de leur politesse, mais aucun de nous n’a rien osé porter à sa bouche, avant que les prémices du festin eussent été offertes à votre seigneurie. — J’ai défendu que l’on bût du vin, s’écria Liu-Pou avec colère, et voila que vous invitez tous les chefs de l’armée à un festin ! Sous le prétexte de cette réunion fraternelle, vous vous assemblez pour m’insulter par votre désobéissance ! »
Il avait ordonné à ses gardes d’emmener le général et de le décapiter ; Kao-Chun et les autres chefs intercédaient pour lui. « Puisqu’il a désobéi à mes volontés, répondit Liu-Pou en fureur, il a mérité la mort...... Pourtant, par considération pour vous autres, je permets que la peine capitale soit commuée en celle de
- ↑ Voir vol. Ier, page 58.
- ↑ C’est une formule de politesse chinoise, qui consiste à attribuer au bonheur de son maître ou de son souverain, tous les succès que l’on peut obtenir. Le texte chinois dit : « C’est par la puissance pareille à celle du tigre ; » ce que le tartare interprète ainsi : « C’est par le grand bonheur qui vous est accordé