Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/187

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du médecin Ky-Ping ? » — Et sur un signe négatif de son hôte, il reprit avec un froid sourire : « Quoi, votre seigneurie ignore ce qui s’est passé !… Qu’on amène cet homme ! » Les trente alguazils introduisirent le patient.


II[1]


Le malheureux médecin, à peine introduit, se remit à injurier Tsao, qu’il appelait rebelle, tyran de son prince. « Cet homme, dit alors le ministre en s’adressant à Tong-Tching, m’a déjà dénoncé quatre de ses complices que j’ai envoyés en prison sous bonne escorte. Un seul me reste à connaître. » Tong-Tching n’osait rien répondre ; le ministre demanda de nouveau au patient : « Quelqu’un t’a-t-il chargé de m’empoisonner ? — Oui. — Nomme-le et je te laisse la vie ! »

« C’est le maître du Ciel, répondit Ky-Ping, qui m’a chargé de tuer un brigand rebelle à son prince… » Plein de rage, Tsao le fit frapper encore, de telle sorte que son corps n’était plus qu’une plaie ; à ce spectacle, Tong-Tching, assis dans la salle de son hôtel, sentait son cœur se fendre[2]. « Jusqu’ici, reprit Tsao en s’adressant au médecin, tu avais dix doigts bien entiers[3] ; d’où vient que je ne t’en vois que neuf aujourd’hui ? — J’en ai coupé un pour sceller le serment que je faisais d’anéantir l’ennemi de l’Empereur ! » Tsao ordonna aux bourreaux de les lui couper tous et ajouta : « Eh bien maintenant, jure, je te le commande ! — Il me reste une bouche pour dévorer les traîtres, dit le patient, et une langue pour les injurier ! »

Sur un ordre du ministre, la langue allait lui être coupée ; il s’écria : « Non, non, laissez-moi-la ! Je cède aux tortures ; voici

  1. Vol. II, livre V, chap. VII, page 75 du texte chinois.
  2. Littéralement : « Comme si on lui coupait le cœur. » Autant que possible, nous tachons d’adoucir la peinture de ces atrocités qui peignent trop bien la barbarie chinoise. Que l’on change les noms et l’époque, on aura l’interrogatoire d’un missionnaire catholique, tel qu’il s’est fait jusqu’à ce jour.
  3. Il est dit plus haut (et nous en verrons d’autres exemples), que les conjurés se mordaient le doigt pour en tirer du sang et signer la liste. Ky-Ping n’avait pas signé ; il s’était coupé un doigt avec les dents, dans sa précipitation à montrer son zèle.