Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/213

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— Le premier ministre me traite admirablement, répondit le guerrier ; mais si mon corps est ici, mon cœur est avec Hiuen-Té. — Voila qui est mal parlé, interrompit Tchang-Liéao ; les héros, après tout, habitent la terre (et doivent savoir s’y conduire). Quiconque ne discerne pas l’importance des choses, ne mérite pas le nom de héros. Hiuen-Té vous a traité avec égards, je le sais, mais pas mieux, en vérité, que son excellence elle-même. Pourquoi donc songez-vous toujours et exclusivement à la quitter ? — Je reconnais tout ce que son excellence a fait pour moi, mais j’ai reçu de mon frère et maître des bienfaits immenses, et j’ai juré de vivre et de mourir avec lui ; puis-je manquer à mon serment, rester ici toute ma vie ? Dès que je me serai acquitté envers Tsao en lui rendant quelque grand service, soyez-en sûr, je partirai ! »

« Et si Hiuen-Té n’est plus sur la terre, reprit Tchang-Liéao, où irez-vous le rejoindre ?… — Sous la terre, je l’y suivrai, » s’écria le héros.

La résolution du guerrier était donc irrévocable. Tchang-Liéao le comprit et il allait rendre compte de cette conversation à Tsao, quand un scrupule l’arrêta. S’il répétait exactement les paroles du héros, n’était-il pas à craindre que le premier ministre ne cherchât à perdre cet hôte intraitable ? D’autre part, en déguisant la vérité, ne manquerait-il pas à ses devoirs envers son maître ? « Hélas ! se dit-il en soupirant, Tsao est un maître, et partant un père ; Yun-Tchang n’est pour moi qu’un frère aîné(par adoption, par politesse même !) Aux devoirs de jeune frère à frère aîné, on ne peut pas, sans qu’il n’y ait déloyauté, sacrifier ceux de sujet à prince, de fils à père[1]. Mieux vaut être infidèle que déloyal ! »

Il se décida donc à tout dire, et Tsao applaudissant au dévouement de Yun-Tchang, s’écria : « Servir son maître, ne point

  1. En chinois, le mot y exprime la fidélité au prince, la loyauté ; le mot tchong représente l’obéissance due au frère ainé, une fidélité, pour ainsi dire, au second chef. — Tout ce chapitre est fort difficile, en ce qu’il fait allusion aux rites et reproduit le plus souvent des expressions anciennes, que l’interprète mandchou rend presque toujours par des mots analogues, sans éclaircir la pensée.