Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/212

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coursier de Liu-Pou, le fameux Lièvre-Rouge[1]. — Lui-même ; je n’ose monter un pareil animal ; vous seul, seigneur, vous seul pouvez vous en servir. » Et il le lui offrit tout équipé. Dans sa joie, le héros s’agenouilla respectueusement.

Cette fois Tsao s’emporta : « Quoi ! je vous ai donné de belles esclaves, de l’or, des étoffes précieuses, et jamais encore vous n’aviez fléchi le genou devant moi ! Maintenant que je vous fais présent de ce cheval, vous montrez de la satisfaction, et vous vous jetez deux fois à genoux ! Pourquoi donc mépriser l’homme et apprécier tant l’animal ? — Ce cheval, répondit Yun-Tchang, je le sais capable de parcourir cent lieues en un jour ; aujourd’hui que je suis assez heureux pour le posséder, dès que je connaîtrai la retraite de mon frère, fût-il à cent lieues, je pourrai le rejoindre avant le lendemain ! » La-dessus il prit congé ; Tsao aurait bien voulu, en ce moment-la, ne pas lui avoir livré ce cheval si rapide ! Il appela même Tchang-Liéao et lui demanda comment il se faisait que, malgré tant de bons traitements, Yun-Tchang ne songeât qu’a le quitter. Le mandarin répliqua : « Permettez-moi d’étudier un peu le fond de sa pensée ; je vous répondrai après cet examen ! »

Le lendemain, Tchang-Liéao va voir Yun-Tchang, et dans la conversation il lui dit : « Frère, depuis que je vous ai mis en relation avec son excellence, quelle résolution avez-vous prise ?

  1. Voir vol. I°, page 59, et vol. II, page 89. L’édition in-18 ajoute : Depuis la scène qui s’est passée devant le pavillon de Pé-Men, ce coursier avait disparu sans qu’on sût où il se trouvait ; maintenant le voilà qui rentre en scène. — L’homme choisit son maitre ; le cheval choisit le sien ; tant mieux ! — Le Lièvre-Rouge a désormais celui qui peut lui convenir. Le guerrier à la face rouge et le coursier de même couleur, c’est comme la lagune et le vaste firmament (comme le ciel qui se reflète dans le lac, comme la chose et l’image). — Ce n’était point à propos du cheval, mais à la pensée de son frère ainé qu’il s’agenouillait ! — Et plus tard on a écrit les vers que voici :

    « Dans les guerres désastreuses qui signalèrent l’époque des Trois Royaumes, un héros surgit,
    Qui seul se tint à part, et chez qui le sentiment de fidélité s’éleva bien haut.
    Un ministre fourbe, des généraux pervers lui prodiguèrent vainement des marques d’égards et de respect ;
    Ils ignoraient donc que jamais ce guerrier ne se soumettrait à Tsao.