Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/291

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pile de bois ; déjà s’élève une masse de fumée sombre qui monte vers les cieux ; mais au milieu de l’espace résonne aussi le bruit grondant de la foudre, il tombe des torrents de pluie ; en un instant la place du marché est comme submergée par un débordement.

Il plut ainsi depuis midi jusqu’au soir, et la quantité d’eau qui tomba, s’éleva bien à trois pieds. Étendu sur le bûcher, le devin cria à haute voix  : « Nuages, roulez-vous (comme un voile), pluie, cesse de tomber. ! » Et le soleil se montra de nouveau.

Tous les mandarins avaient aidé le Tao-Ssé à descendre de dessus le bûcher ; (la flamme était éteinte) : ils le débarrassèrent de ses chaînes, et vinrent supplier Sun-Tsé de reconnaître son pouvoir surnaturel. Mais le jeune conquérant, couché dans sa litière, s’en allait par la grande rue ; tandis que tous les grands formaient un cercle compact[1] et s’agenouillaient au milieu de l’eau devant le devin, sans songer qu’ils gâtaient leurs habits de cour. À cette vue, la colère de Sun-Tsé se ranima  : « La pluie est réglée selon les combinaisons du ciel et de la terre, s’écria-t-il, et c’est par un heureux hasard que cet imposteur a rencontré juste. Vous tous, qui êtes à mon service, vous, mes plus dévoués partisans, vous êtes les premiers à me causer des chagrins ! » Et tirant son sabre précieux il ordonna aux hommes de sa suite de décapiter le vieux devin.

Cette fois encore les mandarins demandèrent sa grâce avec de vives instances  : « Quoi donc, leur répondit Sun-Tsé, vous voulez vous rallier au sorcier et mépriser mes ordres ! » Tous gardèrent le silence  : aussitôt d’une voix brusque il commanda aux soldats de frapper ; la tête coupée roula sur la terre ! On aperçut une vapeur noirâtre, quelque chose comme un esprit qui s’en allait vers le nord-est. Sun-Tsé, plus furieux encore, fit suspendre dans le marché le cadavre sans tête

  1. Tous ces mandarins, tous ces gens du peuple, dit en note la petite édition, sont véritablement responsables de la mort du sorcier ; car si Sun-Tsé le tua, ce fut parce qu’ils ne lui témoignèrent pas, à lui-même, le respect auquel il avait droit.