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Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/411

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goûter des pêches, et que là, il avait été question des héros de l’Empire. Mon jeune frère, rapporte-t-on, avait cité tous les grands hommes de notre temps, mais Tsao-Tsao secouant la tête à chaque nom, avait dit : Sur toute la surface de l’Empire, il n’y a que deux personnages vraiment supérieurs, votre seigneurie et moi ! Et quoique ce puissant ministre compte sous ses ordres quatre cents mille soldats, il n’est qu’un usurpateur qui opprime Sa Majesté pour mieux dominer les grands, et avec tout cela il n’ose se mettre au-dessus de vous ! Pourquoi donc vous plaindre de votre position ? »

À ces mots le héros leva sa coupe et répondit fièrement : « Si Liéou-Hiuen-Té joue un si grand rôle, pourquoi s’inquièterait-il de voir dans l’Empire tant de gens nuls et incapables[1] ! »

Cette réponse fit pâlir Liéou-Piao ; elle était trop hardie, et Hiuen-Té qui le sentit aussitôt, se levant de table comme s’il eût été échauffé par le vin, retourna à son hôtel. Si Liéou-Piao n’avait rien dit, il n’en était pas moins fort irrité ; aussi sa femme, Tsay-Fou-Jin, qui le vit sombre et silencieux, lui dit : « J’étais tout à l’heure derrière le paravent et j’ai recueilli les paroles de votre ami ; il est clair qu’il a l’intention d’usurper vos états : ne traite-t-il pas les autres comme des brins de paille ! Si vous ne vous débarrassez pas de lui, il causera la ruine de notre postérité... » Et comme Liéou-Piao, sans rien dire, secouait la tête d’un air triste, devinant la pensée de son mari, elle appela aussitôt son jeune frère Tsay-Mao, pour s’entendre avec lui sur l’affaire qui l’occupait. Celui-ci exposa que Hiuen-Té, désireux de s’élever au-dessus de tous ses rivaux, nourrissait très certainement le dessein de s’emparer quelque jour du King-Tchéou ; qu’y avait-il de mieux à faire que de l’assassiner tout d’abord

  1. L’édition in-18 dit en note : « En présence de Tsao-Tsao, Hiuen-Té s’était appliqué à rester humble et à s’amoindrir ; en face de cet hôte (timide et incapable, trop dénué d’ambition) il ose se montrer sous les couleurs héroïques qui lui conviennent. » Ces rapprochements que nous notons au passage, servent à mieux faire comprendre, nous le croyons du moins, l’habileté du romancier chinois ; si on les néglige, le long dialogue n’est plus qu’une insignifiante série de demandes et de réponses.