Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/412

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dans son hôtel, quitte à en avertir Liéou-Piao immédiatement après l’exécution du projet ?

« C’est une affaire qui demande de grandes précautions, répliqua Tsay-Fou-Jin ; ne vous hâtez pas trop... » Tsay-Mao sortit à l’instant pour mettre ses troupes sur pied ; heureusement, Y-Tsy[1], sachant qu’il méditait la mort de Hiuen-Té, courut au milieu de la nuit avertir le héros de s’éloigner. « Mais, répondit celui-ci, puis-je partir sans prendre congé ?... — Si vous vous arrêtez pour remplir ce devoir de politesse, reprit le mandarin, vous périrez sous les coups de Tsay-Mao ; je vous parle dans votre intérêt. »

Avant le jour, Hiuen-Té trottait à cheval par les chemins, et quand le traître arriva à son hôtel pour le surprendre, il ne le trouva plus. Dans sa rage, il imagina d’écrire sur la muraille quelques vers, puis courant chez Liéou-Piao : « Tenez, s’écria-t-il, votre hôte avait bien l’intention de se lever contre vous ; la preuve, c’est que sans prendre congé, il est parti en laissant inscrits sur la muraille des vers qui trahissent sa pensée. »

Liéou-Piao refusait d’ajouter foi à cette déclaration ; il se rendit donc à l’hôtel pour s’assurer du fait par ses propres yeux.... Sur la muraille, en effet, il lut les quatre lignes que voici :

« Depuis des années je me consume à veiller à la défense de cette province,
» Devant mes yeux s’étendent et coulent les vieux monts et les vieux fleuves (qui ne sont rien pour moi !
» Le Dragon est-il confiné au fond d’un fossé ?
» Non ; il attend, endormi, le vent et le tonnerre, pour reprendre son vol vers les cieux !

« Ah ! s’écria Liéou-Piao plein de colère, en tirant son sabre, je jure d’égorger ce traître ! — Puis, après avoir marché l’espace de quelques pas, il fit cette réflexion : J’ai vécu longtemps avec Hiuen-Té, et je ne me suis jamais aperçu qu’il ait composé des vers ! Certainement ceux-ci sont d’un autre que lui, de quelqu’un qui veut semer entre nous la division par des mensonges. » Il rentra donc dans l’hôtel, effaça les vers avec la

  1. Voir plus haut, page 390.