Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/429

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sombres bords[1] ! — Ce n’est point à l’énergie de cette bête, répartit Liéou-Ky, mais bien à votre heureux génie, que vous devez d’avoir échappé à la mort ! » Et la, il quitta le héros, en donnant les marques de la plus profonde douleur.

Hiuen-Té s’en revenait donc seul, quand tout-à-coup il rencontra dans la grande rue un homme portant un bonnet d’écorce[2], des habits de toile, des souliers noirs, une ceinture de même couleur, et qui chantait à pleine voix la chanson que voici :

« Le Ciel et la Terre sont sens dessus dessous ;
» Le feu est prêt à s’éteindre.
» Quand un grand édifice va crouler,
» Une seule poutre ne suffit pas à l’étayer !
» Entre les quatre mers il y a des sages,
» Qui voudraient bien se rallier au maitre intelligent.
» L’homme au génie supérieur cherche aussi des sages..
» Mais, hélas ! ce maître ne me connaît pas ! »

Et après avoir chanté ce couplet, il se prit à rire en longs éclats. Hiuen-Té qui avait entendu le sens de ces paroles, ne douta point que ce ne fût la l’un des deux sages dont le docteur Tao-Ssé l’avait entretenu. Plein de cette pensée, il met pied à terre, salue l’étranger, et le conduit dans son palais. Ce singulier personnage, interrogé sur ses noms, déclara s’appeler Tchen-Fo[3]. Depuis longtemps il avait entendu dire que Hiuen-Té désirait engager à son service les gens sages et capables ; n’osant l’aborder de lui-même il s’était avisé d’attirer son attention en chantant ces quelques lignes dans la rue. Puis comme Hiuen-Té parut lui témoigner de grands égards : « Je prierai votre seigneurie, demanda-t-il, de vouloir bien me laisser voir de nouveau le cheval qu’elle montait tout à l’heure. »

L’animal fut amené par la bride à l’instant même. « Oui, dit

  1. Littéralement : un homme qui habite au bord des fontaines, ou des neuf fontaines. — C’est ainsi que les Chinois désignent le monde des morts.
  2. L’écorce de la plante appelée Urtica Nivea ; les Chinois prétendent que ses fleurs ont la faculté de réveiller de leur ivresse les gens qui ont trop bu.
  3. Il était originaire de Yng-Chang.