Page:Theuriet - Bigarreau, 1886.djvu/272

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été tellement prise par le travail qu’il n’a jamais eu le temps de songer au mariage. Son cœur a pourtant parlé une fois, dans l’Argonne, alors qu’il avait vingt ans, mais comme il n’était qu’un mince surnuméraire sans fortune, la fille qu’il aimait l’a dédaigné, et s’est mariée richement avec un gros marchand de bois. Cette première déception a laissé à Boinville une arrière-amertume que ses succès administratifs n’ont jamais complètement corrigée. Son esprit est resté teinté de mélancolie, et, ce soir, après avoir entendu cette vieille femme lui parler de sa détresse avec cet accent du terroir qu’on n’oublie jamais, il s’est senti envahi d’une tristesse rétrospective.

Le front posé contre la vitre, il remue comme un amas de feuilles mortes les lointains souvenirs de jeunesse, ensevelis profondément dans sa mémoire, et le parfum des saisons passées au pays natal lui remonte doucement au cerveau.

Il revient à son fauteuil, et prenant le dossier Blouet, il l’annote au crayon de cette mention marginale : « Situation digne d’intérêt — accorder » — puis il sonne le garçon et renvoie le dossier au sous-chef chargé des secours.