Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une manière nouvelle d’être Breton.. La Bretagne était entrée au XVIIIe siècle en pleine culture française : Duclos et Maupertuis sont des écrivains français dont nous savons, sans y attacher d’importance, qu’ils sont nés en Bretagne. Mais Chateaubriand, bien qu’il ait quitté de bonne heure et sans retour la Bretagne pour n’y revenir que dans un célèbre cercueil, est individuellement, tenacement Breton comme le seront après lui Lamennais et Renan. Breton comme Rousseau est Genevois, Bonaparte Corse, ce pur Français devient, par sa position d’émigré décoratif et stylisé, excentrique à son temps, une sorte d’étranger honoraire.

La chute de la République
des Lettres
.
Ces trois présences d’abord extraordinaires de quasi-étrangers nous apparaissent plus ordinaires et presque nécessaires si nous y voyons la contre-partie d’une absence : l’absence de tout ce qui, dans cette génération des vingt ans en 1789 a été empêché par la Révolution.

Empêché un peu, sans doute, pour des raisons démographiques. À peine cette génération est-elle entrée dans la vie que les guerres meurtrières commencent. Ont-elles apporté aux lettres un dommage égal ou supérieur à celui que leur a infligé le tribunal révolutionnaire ? Des André Chénier sont-ils morts à Wattignies ou à Eylau ? Ce n’est probable que dans une mesure très inférieure à celle que comporte la guerre de 1914. Le massacre des élites qui a fauché la génération des vingt ans en 1914 reste jusqu’à présent un fait unique dans l’histoire, et d’ailleurs, de ces considérations glissantes sur le possible, nous ne pouvons rien tirer qui entre dans une chaîne des causes explicatives.

L’absence qui régna, pendant que cette génération atteint l’âge viril, ce n’est pas cette absence d’individus, dont nous ne pouvons rien savoir, c’est l’absence d’un état littéraire, d’un climat littéraire. La proclamation de la République Française coïncide en effet avec l’abolition de la République des Lettres.

La République des Lettres, cet état séculaire qui donnait à la littérature son atmosphère, ses habitudes, ses problèmes, ses rythmes, son statut social, ses relations extérieures, est détruite par cette Révolution qu’elle a préparée. Plus d’Aca-