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sition politique de sa famille (sa mère s’était déclarée royaliste en 1814 par haine du général, puis le général s’était rallié à Louis XVIII), — l’exemple des deux grands aînés, — Chateaubriand et Lamartine, — sont à l’origine de son royalisme juvénile, royalisme de carrière et de raison qui ne s’empara pas plus du cœur de Victor que du cœur de la France. Dès 1822, les Odes le présentent comme le poète officiel et sérieux de la dynastie. Mais aussi il veut, avec fermeté et persévérance, un grand état d’homme de lettres complet, fournissant tout, saisissant le filon du jour, réussissant en tout, supérieur dans tout : le roman avec Bug-Jargal et Han d’Islande, le théâtre avec Amy Robsart et Cromwell, la critique créatrice avec les préfaces, la poésie classique avec les Odes, la poésie romantique avec les Ballades. À vingt-huit ans c’est un chef d’école ou, plus précisément un chef : il publie à la fois les Orientales et le Dernier Jour d’un Condamné, et remet à la Comédie-Française Marion Delorme, dont le gouvernement interdit la représentation. 1830-1831 montrent à nouveau la même ambition triple, avec Hernani, Notre Dame de Paris et les Feuilles d’Automne : grande année, grand tournant.

La bataille d’Hernani passe pour l’Austerlitz du romantisme. Notre-Dame de Paris deviendra par son pittoresque une des œuvres les plus populaires de Hugo, et les Feuilles d’Automne marquent son entrée dans la Grande poésie personnelle philosophique, politique. En même temps, ses vrais sentiments politiques se manifestent. Ils tournent autour de Napoléon. L’Ode à la Colonne, en avait été l’acte de naissance, le IVe acte d’Hernani est l’acte de l’idée impériale. En 1831, dans une lettre au roi Joseph, il s’offre au service du duc de Reichstadt. La mort de Napoléon II le met en état de disponibilité politique, le rejette dans un napoléonisme idéal (comme Chateaubriand est resté émigré dans un légitimisme décoratif), le laisse pour plusieurs années très hostile à Louis-Philippe, qui lui rend le service d’interdire en 1832 le déplorable Roi s’amuse, et qu’il insulte dans des vers qui restent secrets. Mais à partir de 1834 il se rapproche du jeune duc d’Orléans, surtout, en 1837, de la duchesse d’Orléans, qui le fera nommer pair de France en 1845 et en faveur de qui il