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parlera courageusement, monté sur une borne, pendant les journées révolutionnaires de 1848.

De 1831 à 1840 sa vie littéraire est dominée par les quatre recueils des Feuilles d’Automne, des Chants du Crépuscule (1835) des Voix intérieures (1837) des Rayons et les Ombres (1840) qui correspondent au quasi-silence lyrique de Lamartine et de Vigny, à l’échec poétique de Sainte-Beuve, le constituent prince du lyrisme de son temps. Sa vie théâtrale est moins heureuse : le grand projet d’un théâtre à lui, de l’histoire de France mise abondamment en drames pour le peuple par un nouveau Shakespeare, n’aboutit pas. Si Lucrèce Borgia (1833) réussit, Marie Tudor (1833) et Angelo (1835) échouent, les grands triomphes sont pour Vigny et Chatterton, Dumas et la Tour de Nesle. Ruy Blas joué à la Renaissance en 1838, connaît cependant un grand succès, reste en somme le seul drame en vers de Hugo qui ait réussi. Sa vie sentimentale enfin n’avait pas échappé aux révolutions de la trentaine : le plus intime de ses amis Sainte-Beuve avait rompu avec lui après une aventure célèbre, un drame de foyer conjugal, où presque tous les torts étaient du côté du critique. Dans son ménage, le malaise, même la mésentente sexuelle avec une femme qui lui a déjà donné ses quatre enfants, est une des causes de sa liaison, qui débute en 1833, avec l’ancienne maîtresse et modèle de Pradier, Juliette Drouet. Du relèvement, de l’éducation, de la création d’une femme par l’amour et le génie, cette liaison, qui durera jusqu’à la vieillesse et la mort, reste d’ailleurs un émouvant modèle et un magnifique monument.

En 1838, Hugo fait son premier voyage en Allemagne. Ses préoccupations politiques, dont Ruy Blas est le mythe, auront pour manifeste en 1841 le discours de réception à l’Académie, en 1842 le Rhin, en 1843 les Burgraves, la seconde pièce impériale de Hugo après Hernani, soleil couchant plus beau que le soleil levant, mais Waterloo dramatique treize ans après Austerlitz. La vie de Hugo, la quarantaine venue, atteint elle-même un rayonnement impérial. Sa maison de la place des Vosges est une capitale littéraire. Son masque de marbre contracte une ampleur césarienne. Il voit loin et fort. En 1842, la mort du duc d’Orléans laisse entrevoir à brève éché-