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ance une minorité, une régence. La réussite parlementaire de Lamartine, à qui on offre portefeuille et ambassades et qui se réserve pour mieux que cela, le souvenir de Chateaubriand, indiquent à Victor Hugo les voies possibles d’un poète vers les sommets. Il se tient en disponibilité sept ans. Il cesse de publier. Il sentait que les Burgraves l’avaient diminué devant la foule, qui n’aime pas les échecs. 1843 était en outre l’année terrible pour une autre raison qu’un échec au théâtre : nouvelle mariée, la plus aimée de ses enfants, la plus fille de son père (Cette Léopoldine est fille de Césars, dit Sainte-Beuve dans Lyre d’Amour) Léopoldine Vacquerie, se noie à Villequier pendant que son père voyage dans les Pyrénées avec Juliette. Ce fut la plus grande douleur de son existence. Deux ans après, le jour anniversaire, en 1845, de la mort du duc d’Orléans, et sur la prière de la duchesse, Louis-Philippe, d’ailleurs malgré lui, nomme Hugo pair de France. Mais la destinée s’acharne : Hugo comptait faire au Luxembourg des débuts et une carrière éclatante, quand un scandale — flagrant délit d’adultère avec Mme Biard — le condamne au silence pendant deux ans, et il ne monta enfin à la tribune que pour démontrer qu’il ne serait jamais orateur. Cependant s’il ne publie pas, il écrit en hâte les manuscrits, amorce avec Pauca Meæ les Contemplations, avec Aymerillot et le Mariage de Roland la Légende des siècles, avec les Misères les Misérables.

La Révolution de 1848 l’atterre. Mais le gouvernement de Lamartine, l’établissement du suffrage universel, donnèrent d’abord à cette Révolution figure de romantisme au pouvoir. Les électeurs de Paris envoyèrent Hugo à l’Assemblée Constituante, puis à la Nationale, il y siégea à droite, soutint de son journal l’Événement, et de son vote, la candidature de Louis-Napoléon, défendit la politique du Prince-Président à l’Assemblée, d’ailleurs maladroitement (Hugo était le contraire d’un parlementaire). Tout son passé le portait en effet à devenir l’un des hommes représentatifs du futur Empire : l’amour sincère du peuple, la philanthropie autoritaire, la politique mondiale d’utopiste et de rêveur, étaient autant de traits communs au vicomte Hugo et au Prince-Président. Dans son ministère Louis-Bonaparte aurait donné volontiers un portefeuille au poète. Son entourage l’en dissuada. Frappé