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la Renaissance, Musset tint pendant quelques mois l’emploi de prince de la jeunesse romantique, ou de la jeunesse tout court.

Il le tint, mais ne s’y tint pas, et il n’y tenait pas. Il est le seul des romantiques qui ne se soit jamais soucié de garder et d’embellir une attitude, ce qui paraîtra d’autant plus singulier qu’il possède autant qu’aucun le don oratoire. D’abord c’était un homme du monde, à qui le genre du cénacle, les naïvetés et le bousingotisme des milieux romantiques déplaisaient. Il leur préférait la société de jeunes viveurs amoureux et riches, la poésie des anciens, Régnier, Molière, même Voltaire. Tel Byron. Lui qui ne se souciait pas de ressembler à Byron est le seul poète français dont la manière et la vie en suggéreraient quelque idée. Dès juillet 1830, dans les Secrètes Pensées de Rafaël, il se débarbouillait du romantisme et de la lie de vin de ce cortège bachique qu’il avait mené.

Non lui, qui écrit par caprice et qui est tout en tournants, mais son génie immanent paraît vouloir que ce poète parisien, le seul Parisien authentique et traditionnel du romantisme avec Mérimée (qui a des parties d’un Musset sage et buveur d’eau) devienne pour un demi-siècle le poète de Paris. Et Paris ce sont les femmes, et c’est le théâtre. Mais un autre génie, un malin génie brouille les cartes.

Son Théâtre.
Le théâtre est une discipline. Musset n’aime pas les disciplines, a commencer par celle de la rime, qu’il traite en ennemie personnelle. En 1830 il a transporté un conte d’Italie, la Nuit Vénitienne, à l’Odéon. Elle a été sifflée. Dieu le garde de se laisser désormais juger par des cuistres sous un lustre et des calicots dans un amphithéâtre ! Le théâtre, comme Byron, il ne l’animera que pour lui, et le spectacle sera dans un fauteuil. De là en 1832 le drame de la Coupe et les Lèvres et la comédie romanesque À quoi rêvent les jeunes filles, poèmes de la jeunesse et des femmes, en vers éclatants, qu’achève dans le Spectacle le poème de Namouna, avec les stances célèbres où Don Juan, porte-parole et symbole de Musset, idéalise cet homme à la poursuite des femmes, que Paris tire à des milliers d’exemplaires. Drame tyrolien et comédie italienne, imitation de Schiller et souffle shakespearien, courtisane sans cœur et vierge délais-