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quand il publiait par livraisons son Histoire Socialiste, se plaisait à citer de longues pages pour amuser encore ses lecteurs populaires de 1900.

Éloquence.
Enfin le peuple entend. La littérature auriculaire reste en somme la meilleure de la Révolution, bien qu’elle soit souvent écrite et lue, dans les trois assemblées. L’éloquence de la Constituante n’est pas une éloquence populaire. Chez Mirabeau, les célèbres apostrophes, adjurations, mouvements pathétiques, lave répandue, hure secouée, ne tiennent qu’une très petite place dans l’ensemble de ses discours, et même, comme dans le discours de la hideuse banqueroute, peuvent coïncider avec les vacances de son bon sens, dont il avait par ailleurs à revendre. Les discours de Mirabeau, de Barnave, de Cazalès, de Maury, de Robespierre constituant, sont généralement des discours d’idées et d’affaires, où le pathos n’est qu’une écume, et qui sont soutenus par l’acquis, la logique de l’expérience et de la culture. On ne retrouve pas les mêmes qualités chez les orateurs de la Législative, qui ont pris l’habitude de parler moins pour l’Assemblée que pour les tribunes, qui aiment l’éloquence pour elle-même, mais qui ont la poésie de la jeunesse, et qui offrent en un mouvement monumental, comme celui des Horaces dans le tableau de David, l’image d’une génération nouvelle dans son indivisible élan. C’est Vergniaud avec ce romanesque généreux et vaniteux où l’on croit sentir déjà les élans lyriques de son futur historien Lamartine ; c’est Isnard, le Provençal frénétique qui a dans quelques discours d’ailleurs laborieusement écrits, à la Législative et à la Convention, jeté peut-être les notes les plus aiguës sur le trépied le plus pythique qu’aient connu les Assemblées. La plupart de ces orateurs se retrouvent et grandissent à la Convention, où Robespierre de son côté ramène le ton plein, le labeur probe et serré de ses débuts à la Constituante. C’est sans doute Robespierre, qui avec Mirabeau, a laissé, le plus de pages oratoires dignes d’être lues. Il demeure celui dont Mirabeau disait : « Cet homme ira loin car il croit tout ce qu’il dit ». La conviction profonde, enracinée par la méditation solitaire et par la haine de l’adversaire ; une volonté infatigable de faire passer, par la force d’une logique continue, claire et véhémente, ce qu’il croit