Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
dans toutes les oreilles qui l’écoutent ; et le but qui, à mesure que l’orateur va plus loin s’éloigne d’aussi loin, puisqu’il n’est rien d’autre que le règne de la vertu : tout cela donne à Robespierre ce qu’il reste seul à avoir possédé entièrement, un temps, sous la Révolution : l’autorité. Autorité du définiteur, du guide, du politique, autorité de l’Incorruptible. S’il reste des discours de Robespierre, il ne reste de Danton que des mouvements, des phrases, des cris, du feu, les plus beaux de la Révolution. Il est probable que Saint-Just avait du génie, et de lui aussi on sait des mots étonnants. Mais ses discours mêmes sont filandreux, ennuyeux, et quand ses déductions enfilent le chemin de l’absurdité, le fanatisme délirant avec lequel il le suit jusqu’au bout ne paraît plus une force, mais une damnation de la nature.
Écrits.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement ni surtout à cause de leurs discours que les personnages révolutionnaires sont retenus par la littérature. Le meilleur de Mirabeau est dans d’autres écrits : moins son Histoire secrète de la Cour de Berlin, résultat hâtif et mal venu de sa mission diplomatique en Prusse que ses Lettres d’amour volcaniques à Sophie de Monnier, et moins ses lettres d’amour que ses lettres politiques, soit les notes secrètes écrites (pour de l’argent) à Louis XVI. Au-dessus de Mirabeau orateur, il y a Mirabeau ministre.

Je veux dire Mirabeau candidat au ministère, Mirabeau pensant et écrivant en ministre ; le Mirabeau plein d’idées qui gémit de voir l’État abandonné, par la nolonté (le mot est de lui) du roi, à la folle plèbe parisienne ou au lourd comptable genevois, et qui sait ce qu’il faut faire, et qui conscient de tous les dangers que court la monarchie, voudrait la sauver, et gémit des vices, des dettes, de toute la légende attachés à son lourd passé qui lui enlèvent toute activité pour le bien. Les États généraux de 1614 ont laissé en se retirant, sur le rivage de la cour, l’évêque de Luçon, le futur Richelieu. La monarchie des Bourbons eût été sauvée par un grand ministre qui eût consolidé et réglé monarchiquement les résultats des États de 1789. Mirabeau seul était alors ce ministre possible, mais repoussé par le roi, l’Assemblée, le Destin et le déclin d’une vie usée. Il en a laissé un témoignage, qui appartient aux lettres :