Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
religieux le devoir de faire des Martyrs en vers. Ajoutons qu’il possède réellement le génie épique. Or il se met à donner des romans très tard, aux approches de la soixantaine, en 1848. Renonçant à écrire en vers son épisode épique des Pêcheurs, il le met en prose, en la prose de Graziella, roman beaucoup moins autobiographique que ne le laisserait croire sa place dans les Confidences. Raphaël est plus près de l’autobiographie, ainsi qu’Antonella. Mais le Tailleur de pierres de Saint-Point, et Geneviève, histoire d’une Servante, romans sentimentaux et touchants où il y a de fort belles pages, et où l’on trouve en abondance des tirades qui ne demanderaient qu’à être mises en vers (en vers de Jocelyn), appartiennent à cette veine de l’épopée populaire, pour les chaumières, « pathétique élémentaire par le pain et le sel » dont Lamartine avait rêvé un épisode en vers sous le titre des Ouvriers. Lamartine, évidemment n’est pas un romancier. Mais c’est un grand poète épique, qui a vécu en quarante ans une vie que l’épopée du moyen âge avait vécue en trois siècles, soit le passage de l’épopée au roman épique, du vers à la prose, non par volonté du nouveau, mais par déficience, par ralentissement d’une roue qui cesse de tourner, par vieillissement d’un genre qui déchoit en mécanisme et en facilité.
Le Hugo de Notre-Dame.
De douze ans plus jeune, Hugo appartient ici a une époque déjà toute différente. Il ne dépend plus de l’épopée classique traditionnelle qui achève de vivre sa dernière génération, mais bien d’un fils, jeune, hardi, vraiment romantique, de cette épopée, qui est le roman historique. Il a vingt ans lorsque commence l’influence de Walter Scott, il le lit et l’imite. Dans le court intervalle de Lamartine à Hugo, il y a donc Walter Scott. Au contraire de Lamartine, c’est le roman historique qui rayonnera sur l’épopée hugolienne, la pénétrera et la transformera avec la Légende des siècles « légende écoutée à la porte de l’histoire », comme les romans de l’auteur de Waverley.

Avant de faire du bon Walter Scott, Hugo, à vingt ans, en fait du mauvais avec Bug-Jargal et Han d’Islande. On est d’ailleurs au plein de la brève mode du roman terrifiant, et Bug et Han, résolument, en sont. Mais Notre-Dame de Paris,