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L’Apologétique.
Le premier volume faisait la place libre et propice pour une apologétique qu’amorça deux ans après le second volume, et qui n’eut pas le même succès. Elle était cependant aussi personnelle. Cet individualiste haïssait l’individualisme : donner à la religion la base du consentement universel, plier le doute et l’orgueil de l’opinion individuelle devant l’opinion de tous, substituer à la tradition dans la durée une sorte de bloc œcuménique dans l’espace et dans le temps, tel était le plan d’une apologétique aussi différente de celle que développaient alors les conférences de Frayssinous que de celle de Chateaubriand ; elle déçut et n’agit pas.
La Domination.
Agir sur des hommes, sur des âmes, c’était le tout de la volonté et de la passion de Lamennais, et agir en chef, en directeur non seulement spirituel, mais intellectuel. Le chef proche, personnel, l’évêque, est l’ennemi. L’écrivain ne se réclame que du chef lointain impersonnel, le pape. Ultramontaniste contre la hiérarchie, ligueur (au sens du XVIe siècle) contre le pouvoir civil, clérical contre les clercs, royaliste contre le roi, il inaugure sous la Restauration la série de ses procès, mais aussi son action intense sur une admirable jeunesse.

Un exemple l’anime : celui de la réforme religieuse du XVIIe siècle. Il n’est pas janséniste, loin de là. Mais la première lecture d’enfance qui l’ait révélé à lui-même est celle des Essais de Nicole. Il a hérité d’une grande bibliothèque janséniste. Il admire Saint-Cyran ; Port-Royal n’est-il pas une création chrétienne, un édifice d’âmes, persécuté par le clergé et par l’État ?

Le souvenir le plus émouvant qu’il a laissé est celui du Port-Royal breton qu’il installa dans son domaine familial de la Chesnaie, sur les bords de la Rance, où passa une jeunesse fervente : Maurice de Guérin, La Morvonnais, Gerbet, Salinis, Lacordaire, Montalembert. Une partie du jeune clergé se tourne vers lui. Après 1830, les brochures et le Port-Royal breton ne suffisent plus à lui et à ses disciples. L’Avenir donne un organe à une doctrine nouvelle. Le salut de l’Église sera dans son alliance avec la liberté, surtout avec la liberté d’enseignement. Naguère à droite de Charles X, Lamennais