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se place maintenant à l’extrême gauche de Louis-Philippe. Il ne désespère pas d’y placer l’Église et le pape.

On a cessé de lire Lamennais, dont les écrits sont trop liés à leur temps. Mais son nom, son souvenir, restent vivants parce qu’il a fondé les théories et fixé les attitudes de la démocratie chrétienne. La suspension de son journal en 1831, puis la condamnation de sa doctrine par le pape en 1832 sont suivis en 1834 des Paroles d’un Croyant.

Le Prophète.
Les Paroles d’un Croyant sont inspirées en partie du Livre des Pèlerins Polonais de Mickievicz (l’Avenir avait soutenu avec feu la cause polonaise). Cette copie de la forme des Évangiles et de l’Apocalypse, ces versets bibliques d’un prophète parisien, ces anathèmes aux rois et aux prêtres, nous paraissent aujourd’hui assez froids et nous laissent parfaitement indifférents. Mais en plein romantisme, et l’année d’Ahasvérus, l’effet fut immense : les typographes pleuraient en les composant. Rome fulmina la bulle Singulari nos contre Lamennais, contre toute son œuvre depuis l’Essai. Et lui, il fulmina de son côté la séparation de Lamennais et de l’Église.

La séparation aussi de Lamennais et de ses amis. Aucun de ses disciples ne le suivit. Tous les rédacteurs de l’Avenir avaient fait leur soumission. Lamennais se jeta entièrement du côté du peuple, devint républicain, connut les amendes et la prison, fut loué de bouche dans son nouveau parti mais n’y suscita nul enthousiasme, y resta le Sacerdos in æternum, n’obtint pour les nombreux ouvrages qui suivirent que des succès d’estime, fut élu membre de l’Assemblée Nationale, où il passa obscurément, disparut dans l’ombre après 1851, et son corps fut mis, selon son vœu désespéré, dans la fosse commune en 1854.

Sacerdos in æternum.
En 1826, lors de sa première condamnation — une amende de quelques francs pour ses attaques contre la Déclaration de 1682 — il s’était écrié : « Je leur apprendrai ce que c’est qu’un prêtre ! » On songe au mot de Saint-Cyran : « Voilà six pieds de terre où l’on ne craint ni M. le Chancelier ni personne ». Et dans un certain sens puissant, redoutable et solitaire, il y a en effet deux hommes en France qui ont montré ce que