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demeurés dans l’Église. Les grands journalistes catholiques ont été des laïques. Il est resté aux clercs l’éloquence, laquelle agit fortement, mais se défend mal contre l’oubli.

Lacordaire.
Deux noms cependant ont mérité de survivre littérairement : un dominicain, Lacordaire, et un évêque, Dupanloup, soit un romantique et un classique.

Au contraire de Lamennais, Lacordaire ne devint grand qu’après sa soumission. On se rend compte en le lisant qu’il eût peu donné en dehors de la chaire chrétienne, de la conférence chrétienne, du dogme chrétien ; il reste le type de ces âmes qui ne peuvent vivre en dehors des certitudes puissantes, illuminées, décoratives et définitives. Il ne pouvait venir à la foi, et à la foi militante, et y rester, que par l’exigence intérieure d’une autorité infaillible qu’il subit, et à laquelle il participe. C’est un converti d’après la vingtième année. La formule de sa conversion, telle qu’il la donne en 1824, est capitale, et son raisonnement aura bien des suites : « La Société est nécessaire. Donc la religion chrétienne est divine, car elle est le seul moyen d’amener la société à sa perfection ». Mais son don oratoire de Bourguignon est équilibré et nourri par une vie intérieure, vivace et ardente. Né en 1802 il connaît de cœur le mal du siècle romantique, il en reste le délégué dans l’Église. Il institue le dialogue entre l’Église éternelle et ce mal.

Le dialogue, c’est ce qu’on appelait autrefois la conférence. « L’incomparable auteur de l’art de conférer », dit Pascal de Montaigne. Lacordaire, maître de la conférence, plutôt que du sermon, a rendu, semble-t-il, à ce terme tout son sens ancien, autant qu’il peut être rendu par un monologue et au nom d’une autorité. Il a conféré l’Église au siècle. Ce sont les auditeurs qui font les prédicateurs, a dit Bossuet. Les auditeurs de la Monarchie de Juillet, les romantiques, ont fait leur prédicateur, qui s’est adressé non à l’homme, ni au dévot, ni à la dévote, confessionnels et conventionnels, mais à l’homme de son temps tel qu’il était, tel qu’il l’avait senti en lui, tel qu’il l’avait combattu ou aidé en lui. Dans le métal de cette éloquence, il y a bien des éléments discutables, démodés, artificiels, mais il y a aussi la présence de cet or :