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I
LA GÉNÉRATION DE 1850
Lendemains d’Empire.
Aucune génération littéraire n’aurait moins de raison que celle qui a vingt à trente ans vers 1850, de s’appeler une génération sans maîtres. Les hommes de cinquante ans lui en fournissent à foison. La poésie, le roman, le théâtre, la pensée, l’histoire ont été labourés et retournés par des charrues gigantesques, les jeunes gens avaient été enfants au temps où les gestes des semeurs s’agrandissaient jusqu’aux étoiles. Ils avaient grandi. devant une assemblée des maîtres, au sens homérique de l’assemblée des dieux, au temps des Napoléons littéraires, comme ces Napoléons littéraires avaient-eux-mêmes grandi de 1800 à 1815 sous le Consul ou l’Empereur.

Mais l’analogie peut se poursuivre. Le grand empire romantique avait connu, lui aussi, le destin de l’empire aux cent trente départements. Au théâtre, si Ruy Blas avait été Ligny, le Waterloo des Burgraves avait suivi. Le romantisme politique s’effondrait avec la République de Lamartine. On peut comparer au cimetière de Saint-Médard le Collège de France de Michelet, Quinet et Mickiewicz ; et il est inévitable que les jansénistes convulsionnaires fassent la fortune de Voltaire. Le silence lyrique de Lamartine, de Hugo, de Vigny, de Gautier, même de Musset, depuis 1840, creusait déjà un vide. Un malaise semblait réduire sur une ligne importante le romantisme à la défensive : on songe à ces années difficiles, à ce palier qui pour Napoléon commence à Essling et à Wagram. Talleyrand et Fouché, c’est-à-dire Sainte-Beuve et Mérimée, sentent la fin, l’heure préparée