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toire romaine de Mommsen elle-même a-t-elle gardé la sienne ? La Cité reste au niveau littéraire des Considérations de Montesquieu et de l’Ancien Régime de Tocqueville : c’est encore bien beau.

Fustel avait l’intention d’écrire en quatre volumes une histoire des institutions françaises jusqu’à la Révolution, qui eût été pareillement l’œuvre de synthèse de son enseignement d’histoire moderne. Il en donna en 1875 le premier volume, qui allait de la Gaule romaine à la chute des Mérovingiens. Il y réduisait au minimum, contrairement à l’opinion acceptée depuis Boulainvilliers et fortifiée par la science allemande, le rôle de l’élément germanique. D’où, en ces années soixante-dix qui sentaient encore la poudre de la guerre, une levée de framées de l’érudition d’outre-Rhin, qui émut violemment Fustel, le conduisit à une méthode historique différente, soit à transporter devant le public lui-même la présentation et la discussion des textes, lui fit refondre tout ce volume de synthèse en volumes d’analyse, dont les derniers furent publiés après sa mort par Jullian, et qui, admirés par les historiens comme des chefs-d’œuvre de méthode et de laboratoire, le furent de confiance par le grand public, pour qui ils sont cependant à peu près illisibles, et qui n’en connaît que les résultats.

L’importance de Fustel tient d’abord à son mérite de professeur et à son rôle d’initiateur historique entre 1870 et 1885. Ensuite à la réforme qu’il a apportée au style de l’exposition historique et qui lui mérite une place éminente dans une histoire de la littérature. Le sien a une netteté et une précision de médaille, il est nettoyé de ces épithètes et de ces abstractions, de ce moralisme oratoire, dont les Régents de 1820 avaient propagé la mauvaise herbe. La langue écrite commune devient sous sa plume, une lumière commune de la raison. Il est, dans les deux sens du mot, le type de l’historien intelligible. Les Quelques Leçons à l’Impératrice sur l’histoire de France, qu’il écrivit pour la souveraine et ses dames d’honneur, et qu’interrompit la guerre de 1870, sont probablement, dans la langue française, le chef-d’œuvre de la « conférence » mondaine, qu’une femme du monde ou un enfant comprend, et où les spécialistes reconnaissent leur maître. Enfin l’œuvre historique de Fustel a été dirigée,