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heure de synthèse » ne se comprendrait pas si on la bornait à son œuvre écrite. L’analyse, c’était le labeur continu de l’érudit qui dépouillait les textes et du professeur qui apprenait à ses élèves à les dépouiller. La synthèse, c’était ou ce devait être quelques livres où il exposerait sans références, comme dans un rapport d’expert qui ne relève que de sa conscience, les résultats généraux de son travail.

Ses premières années d’enseignement à Strasbourg produisirent en 1864, un de ces livres, la Cité antique, livre d’un successeur de Montesquieu, qui reste un des chefs-d’œuvre de la littérature historique française.

De la littérature historique, car l’histoire tout court a pu lui adresser de graves critiques. Les cités antiques, grecques et romaines, y sont ramenées à cette abstraction qu’est la Cité. L’historien vérifie cette Cité, soit, essentiellement, la religion des dieux de la cité, superposée à une religion plus ancienne des ancêtres dans les familles. Ces deux croyances sont harmonisées et s’étayent réciproquement en une croyance qui forme la religion de l’État, et qui fournit ses cadres à la société antique. Quand ces croyances évoluent, les révolutions se produisent. Quand ces croyances disparaissent, la cité disparaît.

Synthèse d’une pureté et d’une intelligibilité admirable, qui se cristallise toute autour des textes historiques grecs et latins. Trop pure seulement et trop intelligible. D’abord, la réflexion nous suggère que les habitudes de la durée historique s’opposent à ce que ces successions d’événements se passent avec cette logique. Bien que Fustel ait eu la philosophie en complet dédain, il se comporte ici en idéologue à la manière de son contemporain Taine. Seulement chez lui ce ne sont pas les « petits faits » qui marchent à l’ordonnance, ce sont les textes. Et l’expérience des historiens leur a montré : d’abord que le sens philologique des textes laisse à désirer chez Fustel, ensuite qu’il manque de défiance devant ces textes et leurs auteurs, qu’il met sur le même pied l’autorité d’un texte de Thucydide et celui d’un compilateur de basse époque, ou d’une légende épique utilisée par Tite-Live, Pausanias ou Apollodore. On ne s’étonnera pas que la Cité antique n’ait plus d’autorité historique : mais l’His-