Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers un pays et un paysage catholique, désignés et circonscrits par le poème initial Au Lecteur.

La première partie, Spleen et Idéal, contient plus de la moitié du recueil. Elle représente en effet la condition réelle, la condition humaine de Baudelaire. Et aussi sa condition professionnelle, celle du poète. La condition du poète ! On sait quelle figure monumentale le romantisme, Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, ont par le lyrisme, le théâtre, la politique, conféré à ce problème. Il est naturel et nécessaire que la première pièce de Spleen et Idéal soit Bénédiction, ce Chatterton à la troisième puissance dont l’Albatros était une ébauche, placée ici à la suite du tableau. Les quatorze poèmes qui suivent jusqu’à Châtiment de l’Orgueil pourraient dès lors s’appeler la Comédie Poétique, au sens de la Divine Comédie. Puis viennent le poète devant les formes, devant la Beauté et, à partir de la Chevelure, le poète chez les femmes, le poète devant la femme, soit, pour rappeler des précédents (car Vigny représente une manière d’Ancien Testament de Baudelaire) après Chatterton et la Maison du Berger, la Colère de Samson. Colères, adorations, humiliations, luxures, sensualités des fourrures ou des parfums qui ajoutent leurs harmoniques à la note terrible de la Vénus noire ou de la Vénus publique — puis l’autre, l’ange gardien, la Muse et la madone, la très bonne et la très chère, celle de Confession, de Chant d’Automne, et de l’Invitation au Voyage ; ces vers d’amour qui tiennent presque la moitié de Spleen et Idéal se terminent en la saison du Sonnet d’Automne, que suit avec Tristesse de la Lune le premier poème de Spleen ; puis, avec quelques dissonances causées par la nécessité de trouver une place à tous les poèmes écrits depuis quinze ans, les vingt derniers poèmes appartiennent au Spleen, pour se terminer par le Goût du Néant, l’Alchimie de la Douleur, l’Heautontimorouménos, l’Horloge, ce poème final, qui est le poème du désespoir absolu et qui donne rigoureusement son contrepoids au premier, Bénédiction.

Le premier cycle, à lui seul, formerait un tout. Mais un second cercle commence, à la manière des cercles, des bolge dantesques. Ce sont les dix-huit poèmes des Tableaux Parisiens. Il y a une Comédie Poétique pour le poète. Et il y a