Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toute la Religion de Chateaubriand tient en effet dans ce mot : Fidélité. La fidélité aux femmes de sa famille l’a fait chrétien, comme la fidélité aux hommes de sa race l’a fait émigré et royaliste. Qu’est-ce que le Génie du Christianisme ? Un système de fidélités, et la fidélité est le synonyme chevaleresque de la tradition.

La Religion de Chateaubriand.
Ce n’est pas une religion très intérieure, et l’on conçoit que le théosophe Saint-Martin ait trouvé au moins autant à redire au Génie que le philosophe Ginguené. Mais c’est une religion sûre et une religion continue. Sans y appliquer fortement sa pensée, Chateaubriand reste chrétien, malgré tout, en somme assez facilement. Les prêtres, qui n’ont pas pris au sérieux le Génie du Christianisme comme apologie n’ont pas douté de la sincérité religieuse de son auteur. Ils connaissent professionnellement, et par la confession, ce genre de chrétien : ils n’ont aucune raison de ne pas admettre la bonne foi et la vraie foi de ces fidèles, alors qu’ils doutent volontiers de la sincérité religieuse de Lamartine et de Hugo. Le catholicisme de fidélité est incorporé à la tradition française : c’était celui de Montaigne. Il retient dans un minimum de religion la plus grande partie des chrétiens ; et la réversibilité des mérites, les intentions des prières, la délégation des uns au salut des autres, dans le dogme catholique, sont autant d’indications qui plus ou moins tendraient à l’autoriser. Il est vrai d’ailleurs que, comme le remarquait Saint-Martin, le Génie paraît un Génie du Catholicisme bien plutôt qu’un Génie du Christianisme.

Sainte-Beuve a appelé Chateaubriand, en insistant volontiers sur cette définition « un épicurien qui avait l’imagination catholique ». C’est le confondre un peu injustement avec l’auteur de Volupté. Il faut voir ou chercher plus haut.

Un bien mûri par une durée.
On n’oubliera pas le gentilhomme breton. Certainement la noblesse a contribué beaucoup à la littérature française, mais principalement par ses mémoires, c’est-à-dire par de la littérature de famille, floraison, parfois miraculeuse comme chez Saint-Simon, poussée sur l’arbre généalogique. On voit en Chateaubriand un des rares écrivains — le seul grand écri-