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Taine avec peu ou point de système, celui des petits faits purs, — des Carnets de Voyage, des Notes sur l’Angleterre, de ces livres bien écrits, au courant de la plume, par un vrai voyageur qui voyage, et très supérieurs au Voyage en Italie, qui, lui, est trop bourré, trop voyage professionnel pour remonte d’idées générales. On retrouve tout le Taine artiste dans sa solide, éclatante et précieuse Correspondance, bien plus vivante que celle de Renan, et la meilleure correspondance littéraire de son temps avec celle de Flaubert.

L’Historien.
Mais la plus grande œuvre d’art de Taine est son œuvre d’histoire. Il a élevé dans les Origines de la France contemporaine un des plus grands monuments, à la fois oratoire, évocatoire et dialectique, qu’il y ait dans notre littérature. Monument historique ? C’est une autre affaire.

Quand en 1871 la défaite et la Commune l’amenèrent à tenter un diagnostic historique de la maladie française, qui l’effrayait, Taine n’entrait pas dans un ordre d’études nouvelles, lui qui, depuis vingt ans, et sauf l’Intelligence, n’avait guère écrit que des livres d’histoire. L’année avant la guerre, il était même candidat à la chaire d’histoire de l’École Normale, en concurrence avec Fustel de Coulanges. Les cinq volumes des Origines de la France contemporaine ne rompent nullement avec ses préoccupations ordinaires et ses études antérieures. Mais il fit usage de documents qu’il n’avait que peu ou point maniés jusqu’alors, ceux des archives ; il donna à son œuvre une portée et un rôle civiques ; il exerça une influence sur des milieux nouveaux.

Son innombrable collection de petits faits, recueillie à l’appui de directives et d’idées générales qui n’étaient pas absolument préconçues, mais qui s’étaient formées très vite dans son esprit, tourna rapidement au dossier constitué en faveur d’une thèse, d’une thèse qui n’est elle-même en faveur de personne, qui est une thèse contre, celle d’un médecin sévère et triste pour qui la santé n’a jamais été sur le visage de la France qu’un état précaire qui ne présageait rien de bon. Aucune des figures de la France qui se disputaient la suprématie en 1875, légitimité, napoléonisme, république, n’échappaient à son diagnostic terrible. Ancien régime, Révolution, Na-