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œuvres historiques, dans cette Histoire des Origines du Christianisme et cette Histoire du Peuple d’Israël qui devaient rester comme ses monuments, et dont la destinée n’a répondu ni à son attente, ni à la haute considération de ses contemporains.

Renan écrivait en 1848 : « Le livre le plus important du XIXe siècle devrait avoir pour titre : Histoire critique des origines du christianisme ». Quand il l’a entrepris, il a eu raison de faire disparaître le mot essentiel, qui est « critique » et qui, sur la Vie de Jésus, aurait eu l’air d’une antiphrase.

Ce n’est pas une œuvre critique qui aurait trouvé en 1863 le succès foudroyant et mondial de la Vie de Jésus, dont il se vendit en six mois plus d’exemplaires à sept francs qu’il ne s’en était vendu, cinq ans avant, de Madame Bovary qui n’en coûtait que deux : soixante mille.

Elle a été le plus populaire, le seul populaire des livres de Renan. Dans l’ordre de l’opportunité et du succès, on ne peut la comparer, au XIXe siècle, qu’à l’Histoire des Ducs de Bourgogne de M. de Barante, et à l’Histoire des Girondins. Elle est extraite des Évangiles par un habile artiste comme la première l’est de Froissart, Chastellain, Monstrelet et Comines. Elle ressemble à la seconde par ses fonds d’or, son azur, son ornementation, sa vocation vers le public féminin (il ne faut pas oublier que les deux seuls auteurs d’imagination qui aient eu de l’influence sur la jeunesse de Renan ont été Lamartine et George Sand). Mais en outre Renan était philologue, hébraïsant, représentait la science de l’Institut et du Collège de France avec la même autorité que MM. Quatremère et Burnouf. Il détenait par ses fonctions les clefs de l’exégèse allemande, dont on parlait alors sans la connaître et dont rien à peu près n’avait encore touché le grand public. Voici que cette célèbre exégèse allemande entrait d’un coup par la baie lumineuse d’un esprit clair, et qui en outre avait été chercher sur les lieux, et en mission officielle, la géographie de l’Évangile, ainsi que M. Taine avait pris le train pour la Champagne et en avait décrit le paysage crayeux afin de comprendre et de faire comprendre le Meunier, son Fils et l’Âne. Et puis, il ne s’agissait plus de la critique négative du XVIIIe siècle, mais d’une vie positive de Jésus. Elle exposait