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vie de l’âme, une fulguration incessante de symboles spirituels. Au Génie du Christianisme manque ce génie chrétien. Il prend sa revanche précisément du côté de la tradition, il met en œuvre ce qui a déjà été pensé, senti, digéré, par l’imagination chrétienne. Le Génie, qui fut un livre initiateur dans l’ordre de l’art, est, dans la suite de la religion, un livre successeur, un livre d’épigone.

Son titre primitif, quand il fut commencé à Londres en 1799, était d’ailleurs moins poétique, mais plus explicite : des Beautés poétiques et morales de la Religion chrétienne et de sa supériorité sur tous les autres cultes de la terre. Il en avait discuté le projet avec Fontanes, alors émigré, converti lui aussi, et qui, futur grand maître de l’Université, avait l’esprit d’institution. L’ouvrage est destiné moins à montrer, à exposer le christianisme, qu’à le servir, en dégageant de lui des richesses encore insoupçonnées. Et à servir l’auteur en lui démontrant à lui-même que sa conversion ne pouvait pas nuire à sa vocation des lettres, à la vocation des lettres, au contraire !

Ce qui, du Génie, est mort
et ce qui est vivant
.
Des vingt-deux livres du Génie du Christianisme, plus de la moitié sont des parties mortes. L’apologétique proprement dite, sans théologie, sans philosophie, faite d’émotions, d’impressions, d’allusions, s’en va en lambeaux. Les morceaux de bravoure sur les sacrements, la poésie des rogations ou des cloîtres, après leur éclat momentané, se sont dégonflés dans le bric-à-brac des lieux communs oratoires. Le Génie souffre du même mal que ce Génie de l’Hellénisme qu’était le Télémaque. Il s’est épuisé par l’imitation. Ce qui fut neuf en son temps est devenu cliché, et qu’on pense par exemple à l’effort qu’il faut et que bien peu font, pour nettoyer de ce noir du temps le songe d’Athalie !

Nous n’aurions plus guère devant le Génie que l’émotion historique qu’on éprouve devant une date, s’il n’y avait pas la troisième partie : Beaux-Arts et Littérature, où Chateaubriand a fondé une part de la critique moderne, et la meilleure. Pour retrouver des pages d’une vibration, d’une divination par l’intérieur, d’une sympathie recréatrice analogues