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Dickens, si le mot de galéjade n’appartenait mieux au terroir de Daudet.

À son terroir provençal. Daudet est nîmois, même félibre, et il apporte dans le roman et surtout dans le conte l’esprit des conteurs provençaux. Roumanille, l’Armana Prouvençau sont à l’origine de ces Contes du Lundi et de ces Lettres de mon Moulin qui sont devenus si populaires, qui ont fait autant pour la gloire de Daudet que ses romans, et qui passèrent longtemps pour le fin miel d’une Attique française : nous y voyons aujourd’hui, comme dans l’atticisme de Courier, quelque artifice. Le conteur provençal est devenu le romancier du Midi avec Tartarin de Tarascon ou plutôt avec la trilogie que complètent Tartarin sur les Alpes et Port-Tarascon, Ils sont destinés à rester l’œuvre la plus célèbre de Daudet. D’abord il y reste un pur conteur, et ses faiblesses de romancier créateur ne le desservent plus. Ensuite, là seulement il a créé un type, et même des types. Tartarin est devenu le Don Quichotte français. Mais on aurait tort de voir dans cette création personnelle de Daudet une figure et surtout une psychologie du Midi. Dans Tartarin aussi bien que dans Numa Roumestan, il s’agit d’un Midi que l’auteur a fabriqué pour la caricature et pour l’exportation. En réalité ce contraste, ce dialogue du Nord et du Midi, qui commande la nature et la construction de la France, n’a pas encore trouvé son romancier.

Ni évocateur, ni psychologue du Midi, mais conteur du Midi, Daudet est en outre — et cette fois il l’est bien — un styliste du Midi. L’écriture artiste des Goncourt a compromis gravement la durée de leur prose. Mais quand Daudet a greffé cette écriture artiste sur un français gonflé de sève et de sucs provençaux, la réussite a été parfaite. Le style de Daudet fait voir, fait vivre, fait plaisir. Il scintille, il gesticule, il est physique. Il n’a pas vieilli, ce qui contraste avec le vieillissement de ses romans. Mais s’il subit des influences, celles des Goncourt et de Roumanille, lui n’en a pas exercé ; il n’a pas fait école. Et rien, en somme, de Daudet n’a fait école : il reste sur son coteau ensoleillé, sinon en isolé, du moins en indépendant. Il faut bien le faire entrer, bon gré, mal gré, dans un chapitre, mais il porte les