Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’opinion comme romancier du peuple, comme romancier qui ne flattait pas le peuple, puisque l’Assommoir est le tableau d’une maladie populaire, l’alcoolisme, et enfin et surtout comme romancier peuple.

Un romancier peuple. Il faudrait enlever au mot primaire tout ce que les littérateurs qui en usent y mettent de malveillance et de pédantisme, le prendre dans son sens solide et sain, efficient et positif, et l’on pourrait dire alors que Zola fut un très grand primaire. Son matérialisme est celui du sens commun. Il ne faut pas voir dans son pessimisme un pessimisme radical, à la manière de Taine, mais un pessimisme relatif, qui s’achève en idéalisme social et en croyance au progrès. Il se distingue par là et des pseudo-réalistes, descriptifs sans philosophie, et des réalistes à la Flaubert-Goncourt, bourgeois bourgeoisants de bourgeoisie. La philosophie de Zola est extrêmement courte, mais elle est exacte, elle est populaire, elle tient toute dans le mot travail. Zola a eu la religion du travail comme Balzac celle de la volonté. Des Quatre Évangiles, Fécondité lui a été suggéré par sa paternité tardive, Vérité par l’affaire Dreyfus, mais Travail par toute sa nature profonde, toute sa vie, son impossibilité de penser autrement la raison d’être de l’homme. Justice enfin n’a pu être écrit, mais la Justice, c’est comme l’a montré Proudhon, l’alpha et l’oméga de toute philosophie qui vient du peuple.

Ce serait de ce point de vue du travail qu’il faudrait classer et comprendre toute l’œuvre de Zola. Jules Lemaître l’a appelée une épopée pessimiste de la nature humaine. Pessimiste n’est pas inexact, dans le sens où le mot nature amorce en effet, comme disent les philosophes, le donné. Le donné, c’est la société contemporaine de Zola, c’est la société du Second Empire et celle de la Troisième République dans la mesure où elle continue celle du Second Empire. Mais au-dessus de ce donné, Zola a maintenu un idéal, simple, maniable, populaire, celui-là même du Sandoz de l’Œuvre, qui est le double de l’auteur, celui que marquent le titre et la dernière page de Germinal, la dernière page de la Débâcle, celui qui, du Docteur Pascal à la place vide (remplie par l’acte final de Zola) de Justice, répond à un optimisme social, à