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ce qui a été, en somme, l’idéal de la Troisième République.

Le naturalisme épique.
Épopée peut aussi s’entendre. Il y a eu depuis, Champfleury et Flaubert deux sortes de réalismes : un réalisme analytique et un réalisme épique. Les pages épiques abondent dans Madame Bovary, et Salammbô naît du besoin épique de Flaubert. Rien d’épique au contraire dans les Goncourt et Daudet. Zola, lui, a créé dans le sillage de Flaubert le naturalisme épique. Son style est naturellement épique, épique par son mouvement oratoire, épique par les lieux communs, les épithètes prévues, la redondance de mots, d’explications, de clartés, épique par la prépondérance des ensembles, des groupes, des êtres collectifs, épique par l’adoption qu’en a faite une certaine partie évoluée du peuple, l’instituteur, l’ouvrier, le lecteur des bibliothèques populaires, par l’absence ou la pauvreté des valeurs de culture délicate, des fleurs rares de la vie bourgeoise.
Les Soirées de Médan.
Dès 1875 quelques débutants, Guy de Maupassant, Henry Céard, Huysmans, Hennique, Alexis, qui admiraient Zola, prirent l’habitude de se réunir d’abord chez lui, rue Saint-Georges, puis dans des dîners hebdomadaires chez des traiteurs modestes. À la suite d’un dîner au restaurant Trappe, où étaient invités Goncourt et Zola, le 16 avril 1877, l’année de la Fille Elisa et de l’Assommoir, la presse prit l’habitude de parler d’une « école naturaliste ». En 1879, au cours d’une visite à Médan, où Zola venait d’acheter une maison, Zola, Maupassant, Huysmans, Céard, Hennique, Alexis décident (c’était une idée d’Hennique) de publier un recueil, où chacun donnera une nouvelle, sur la guerre de 1870, et qui s’appellera les Soirées de Médan. Ce recueil paraît en 1880.

D’abord cela faisait une manière de manifeste. La nouvelle de Zola, l’Attaque du Moulin, est sérieuse et conforme aux lois du conte défense nationale. Mais les cinq autres, celles des jeunes, versent plus ou moins du côté de la parodie (on avait pensé d’abord au titre L’Invasion comique) et semblent appartenir déjà à ce qu’on appellera plus tard littérature antipatriotique, puis antimilitariste. Cela fit scandale.