Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
en 1851. Il avait beaucoup de lecture, de souvenirs, d’esprit, de style, le tout haussé et campé sur une métaphore militaire perpétuelle, mousquetaire, et même connétable. Cet éclat ne dépassa guère le cercle de ses amis, mais il sut le soutenir par la puissance démesurée de son verbe. Et s’il est aujourd’hui peu lu, on le tient toujours sinon pour un grand homme, du moins pour un grand bonhomme, à cette exception près que personne n’est moins bonhomme que lui. Il l’a dû à ses romans, à sa critique, à ses mots et à son attitude.

Les romans de Barbey restent la meilleure partie de son œuvre. À vrai dire, même quand ils ont deux volumes, ce sont plutôt des contes, des contes de son pays, et du temps de la chouannerie, avec d’extraordinaires et parfois terribles évocations, et surtout un style incomparable de relief, d’images, de plis, de sonorités. Un Prêtre marié, Le Chevalier des Touches, les Diaboliques éclatent d’étrangeté, de passion, de beautés, mais fort peu d’humanité. Il avait l’étoffe d’un Walter Scott normand et breton. Malheureusement le journalisme l’absorba, ou plutôt la critique littéraire, et, malgré les admirateurs de poids que cette critique a conservés, on doit le regretter. Barbey manque, à un degré douloureux, de raison, de jugement, et même de bonne foi. Sa critique est le véhicule de ses mots, abondants, spirituels, dont beaucoup sont restés, et de son attitude : celle du chrétien intransigeant, vengeur, croisé contre le XVIIIe siècle, et qui, selon son expression, voit dans le catholicisme le vieux balcon de fer forgé d’où on peut le mieux cracher sur la foule. À condition de se tenir à une distance respectueuse, c’est un beau spectacle.

Gobineau.
Ce n’est pas le catholicisme qui fournit son balcon à Arthur de Gobineau. Ce sont ses ancêtres, non ceux qu’il a eus, et qui étaient d’extraction petite, même bourgeoise, mais ceux qu’il se suppose, conquérants scandinaves et barons féodaux. Barbey avait plus de style que d’idées, Gobineau a plus d’idées que de style. Sa théorie de la vie et de la mort des races exposée dans le Traité de l’Inégalité des Races humaines, a fourni à l’Allemagne une des bases de l’idéologie raciste. Mais, comme Barbey, Gobineau avait besoin de la fiction pour donner le meilleur de lui. Le résultat le plus heureux de son racisme aventureux et de son génie