Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
déterminisme de la philosophie scientifique des Anglais et de Taine, a appelé le principal effort de cette génération de philosophes après 1870.
Un syncrétisme en profondeur.
Cette philosophie universitaire, ou Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz et surtout Kant, sont admirablement compris, peut passer pour l’été de la Saint-Martin, ou plutôt pour le seul moment efficace de l’éclectisme. Cousin une fois disparu, apparaît ce syncrétisme libre, intérieur et méditatif de la culture que la hâte, le verbalisme et l’impérialisme utilitaire du célèbre colonel avaient en 1830 dévié et stérilisé pour quarante ans. Dans l’Essai sur la Métaphysique d’Aristote, Ravaisson avait donné le seul exemple d’un grand système repensé profondément du dedans. Renouvier en avait donné un second exemple avec son étude et sa critique de Kant. Un syncrétisme en profondeur, une société vraie des systèmes de l’esprit était désormais possible. Une cité des esprits philosophiques fleurit dans les trente dernières années du XIXe siècle. Elle est bien encore une philosophie de professeurs, mais avec l’esprit du dialogue libre. Le régiment est démobilisé. La philosophie est rentrée dans la vie civile, se fond dans la fine pointe de la civilisation.
Liaison avec les sciences.
Mais ce n’est là qu’une moitié de sa conquête et de sa vie. L’événement capital de cette équipe philosophique, on le verra, l’influence de Comte, de Renouvier et de Taine aidant, consiste dans sa prise de contact résolue et complète avec les sciences. On en revient à l’idée de philosophie telle que l’ont conçue les grands philosophes, qui ont été aussi de grands savants : la réflexion sur les objets et les résultats des sciences, la collaboration de la recherche philosophique et de la recherche scientifique, le dialogue et l’excitation mutuelle de deux disciplines qui n’en font qu’une. Les savants, pareillement, abordent la philosophie de leur science : un Claude Bernard, un Berthelot. Les philosophes se dirigent vers les science nouvelles qui se détachent de la philosophie, soit la psychologie et la sociologie. Ici encore apparaît le caractère scientifique de cette génération, la marche à la positivité.