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qu’en 1905 environ par le Kantisme, dans la formation d’une morale laïque, dans le mouvement dreyfusien.

Pareillement, ce n’est qu’après 1871 que se fait sentir l’influence de Taine chez les philosophes, influence due uniquement à l’Intelligence. Ils retinrent de l’Intelligence non la partie condillacienne, qui sécha sur pied, non la partie anglaise que Ribot alla chercher sur place, mais la psycho-physiologie, l’étude des cas morbides. En même temps l’influence d’Auguste Comte pointait dans l’Université par la thèse d’Espinas, en 1877, sur les Sociétés animales.

Ravaisson.
Les premières années de la République marquent dès lors une décompression et un rajeunissement de la philosophie universitaire. Cousin était mort en 1867, bien oublié de son ancien régiment. Un rôle analogue au sien, mais cette fois tout de persuasion et de bonne grâce, fut tenu par un de ses anciens disciples, brouillé de bonne heure avec lui, un contemporain de Renouvier, Félix Ravaisson, qui n’enseigna jamais la philosophie, mais avait de 1836 à 1842, rajeuni l’aristotélisme avec un grand charme de style, une profondeur de pensée inconnue à Cousin. En 1868, il écrivit un Rapport sur la Philosophie au XIXe siècle, impartial et pénétrant, que terminait une conclusion dogmatique, trente pages dont Bergson a dit que des générations de philosophes les ont sues par cœur. Mémoire non inutile d’ailleurs, Ravaisson occupant ce poste d’influence, la présidence du jury de l’agrégation de philosophie.
Lachelier, Fouillée, Boutroux.
D’autre part, dès 1864, Lachelier enseigne la philosophie à l’École Normale. Il y retrouve par son enseignement la vraie méthode philosophique bousculée par Cousin, celle des Descartes, des Biran, des Ravaisson. Après un bref passage de Fouillée, Boutroux lui succède en 1877. Ces trois philosophes ont entretenu pendant vingt ans dans le monde de la haute philosophie un style de la pensée, dont leurs rares écrits ne donnent qu’une idée imparfaite. Ils ont mis l’accent de l’esprit sur l’immatérialisme, sur le finalisme, et surtout sur la liberté. Une série de thèses célèbres en procèdent, qui commencent en 1872 avec celle de Fouillée et se terminent en 1889 avec celle de Bergson. Renouvier leur est ici d’une aide efficace. L’élaboration d’une théorie de la liberté psychologique contre le