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combat éternel de l’enfer contre le ciel, cet Hiéroclès qui a des traits de Fouché, tout cela parlait singulièrement à ce public noble, qui avait laissé tant de parents aux échafauds, pour lequel écrivait Chateaubriand, et qui soutint comme il le put les Martyrs contre la critique.

Les écrits politiques.
Le troisième des grands desseins qui ont distrait Chateaubriand du mal de René, c’est, à partir de 1815, et jusqu’en 1830, le dessein politique. Ministre, ambassadeur, publiciste, pamphlétaire, il a été certainement un de ceux qui ont eu le plus d’influence, en bien et en mal, sur les destinées de la Restauration. Au sujet de cette politique même, les opinions sont très divergentes. Ce que nous noterons, c’est l’importance et l’intérêt des écrits politiques, trop méconnus. De Buonaparte et des Bourbons était le pamphlet le plus fort et le plus prenant qu’on eût écrit depuis la Satyre Mênippée : il éclata en 1814 comme un coup de tonnerre, mais comme le prestige de ce Napoléon le Grand eût gagné s’il eût été écrit trois ans plus tôt dans l’exil comme Napoléon le Petit ! La Monarchie selon la Charte fait un mélange curieux d’ultracisme et de haute et prévoyante intelligence. Et que Chateaubriand se soit rendu, comme ministre, impossible à Louis XVIII, que dans sa bataille contre Villèle il soit difficile de prendre parti pour le fier écrivain, cela n’enlève rien à la force du style, à la magie des images, au jeu combiné de l’ironie et de l’éloquence qu’on peut admirer dans ses articles de journal. L’ambition politique fut peut-être la plus forte ambition de sa vie. Ses déceptions nourrirent sa verve.
Les écrits personnels.
On dirait qu’il y a dans Chateaubriand écrivain deux natures, qui du reste s’accordent fort bien : un Chateaubriand homme de lettres, et un Chateaubriand descendant de Montaigne, un Joubert à trois dimensions, qui écrit pour lui-même et sur lui-même. Non seulement ils s’accordent mais il se pénétrent constamment, puisque Eudore c’est souvent Chateaubriand, et que le Chateaubriand des Mémoires est un Chateaubriand stylisé. Il n’en reste pas moins que nous nous intéresserons ici à l’œuvre de Chateaubriand dans la mesure où elle est déversée dans la seconde direction.