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relire sur la tombe de mon père. » Voilà pourquoi le bordereau était de Dreyfus.

À la fin de 1897, le frère de Dreyfus découvrit et dénonça le véritable auteur de la pièce imputée à Dreyfus, et base principale de sa condamnation : un condottière hongrois du nom d’Esterhazy. Zola, que Scheurer-Kestner avait convaincu de l’innocence de Dreyfus, entra dans la bataille. Le 20 novembre 1897, il écrivit au Figaro un article où il demandait, sur un ton d’ailleurs boursouflé et désagréable, la revision du procès de 1894. Il dînait le soir au restaurant Durand avec Bourget et Barrès, et celui-ci note dans ses Cahiers : « Un mot me frappait beaucoup dans la bouche de Zola, pendant ce déjeuner… Il disait de sa démonstration : c’est scientifique, c’est scientifique. C’est ces mêmes mots que si souvent, dans le même sens, j’ai entendu employer par des niais, non par des menteurs, mais des illettrés de réunion publique ».

Zola intervient.
Zola venait précisément de publier, pendant les trois ans écoulés depuis 1894, Lourdes et Rome, et de terminer Paris, qui avaient fait suite dans le temps au Docteur Pascal. C’était un échec littéraire : sa science de la religion y valait sa religion de la science. Lourdes était écrit par Homais, Rome par Bouvard, et Paris par Pécuchet. Il avait exaspéré les catholiques, à qui le règne de l’esprit nouveau avait rendu la confiance et l’allant. Depuis des années ses articles du Figaro étaient pris au comique par les échotiers, et toute la jeune littérature le criblait de sarcasmes. Ce combattant attirait les coups.

Il attirait les coups, mais déclenchait par son bruit, et par sa masse, une immense agitation, à laquelle d’autre lames de fond répondirent de l’autre côté. Une guerre de religion, un orage inconnu depuis le jansénisme, éclatèrent. Le journal de Drumont avait depuis plusieurs années remplacé l’Univers comme journal du petit clergé, qui retrouvait dans la Libre Parole le messianisme du temps d’Henri V et un accueil favorable aux dénonciations contre les évêques. Les Assomptionnistes ressuscitaient dans la Croix les passions et les violences de la Ligue. Les Jésuites crurent devoir prendre parti comme eux, et leur présence, réelle ou supposée, dans une affaire, y porte toujours au carré les passions des deux côtés.