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Le 4 décembre 1897, Zola et les partisans de la revision étaient flétris par un vote de la Chambre, où les radicaux et les socialistes firent masse contre eux. Le 13 décembre, le Figaro fit amende honorable et se sépara de Zola, réduit un moment à publier des brochures, une Lettre à la Jeunesse, une autre lettre À la France. Verbeuses redites qui ne portaient pas. Cependant un ancien collaborateur de Rochefort, Vaughan avait fondé un journal bientôt acquis à la cause de la revision, l’Aurore, qui avait Clemenceau, encore hésitant d’ailleurs, pour leader politique, et qui sut crier plus fort que Drumont. C’est là que Zola publia le 13 janvier la lettre J’accuse, adressée au Président de la République.

J’accuse nommait huit responsables militaires du supplice infligé à un innocent, parmi lesquels deux ministres de la guerre. Ce fut parce qu’il nomma que cette fois Zola foudroya. Deux cent mille numéros vendus en quelques heures, interpellation à la Chambre, poursuites. J’accuse n’a rien d’un monument littéraire. Mais pour la première fois depuis la première Provinciale, une feuille volante vendue dans la rue donnait le signal d’une guerre de religion.

Trois semaines après J’accuse, la revue officielle des Jésuites, La Civilità cattolica écrivait dans son numéro du 5 février : « Les Juifs ont imaginé d’alléguer une erreur judiciaire. Le complot a été noué à Bâle, au congrès sioniste, réuni en apparence pour discuter de la délivrance de Jérusalem. Les protestants ont fait cause commune avec les Juifs pour la constitution d’un Syndicat. L’argent vient d’Allemagne… Les Juifs allèguent une erreur judiciaire. La véritable erreur, c’est celle de l’Assemblée Constituante, qui leur a accordé la nationalité française. Cette loi, il la faut abroger ». D’autre part, dès J’accuse, l’Univers israélite avait présenté l’affaire Dreyfus comme le résultat d’une conspiration de l’Église contre l’Esprit, et avait conclu : « À nous donc, juifs, protestants, francs-maçons, et quiconque veut la lumière et la liberté, de nous serrer les coudes et de lutter pour que la France, comme dit une de nos prières, conserve son rang glorieux parmi les nations, car déjà un sombre corbeau a planté ses griffes sur le crâne du coq gaulois et se met en devoir de lui becqueter les yeux. » « Francs-maçons » était une anticipation, car ils combattaient