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le gendre de Renan (Berthelot, soucieux de repos, resta à l’écart). Les statuts furent rédigés par un catholique, Paul Viollet, de tradition janséniste, ce qui importe à l’historien des idées françaises (Royer-Collard eût été le roc du dreyfusisme). Viollet et ses fondateurs les plus considérables quitteront d’ailleurs la Ligue quand elle dégénérera en groupe anticlérical.

Formation des Ligues.
La Ligue des Droits de l’Homme, alors quartier général des intellectuels militants, ne doit pas être séparée ici des intellectuels « sympathisants » que groupèrent les listes de protestation contre l’envoi de Picquart devant les tribunaux militaires, et où figuraient Sully-Prudhomme, Sardou, Lavisse, Gaston Paris, des centaines de professeurs, de savants, d’hommes de lettres (Prévost, Rostand, Picard, Capus, Porto-Riche).

La fondation de la Ligue des Droits de l’Homme est antérieure de six mois à la découverte du faux Henry, qui fut la plaque tournante de l’affaire (plaque qui aurait dû tourner automatiquement pour la révision, et que l’orgueil de Cavaignac fit tourner pour la guerre civile). Quatre mois après le suicide d’Henry les intellectuels anti-dreyfusiens se groupaient dans la Ligue de la Patrie Française (décembre 1898). Elle groupa plus de la moitié des membres de l’Académie, soit vingt-deux académiciens, dont Brunetière, Boissier, Bourget, Cherbuliez, le parti des ducs dans son entier, quelques professeurs, Paul Janet, Hermitte, Rambaud, Petit de Julieville, Faguet, presque tous de la génération antérieure. Vaugeois, son vrai fondateur, aidé de Maurras qui y amène Mistral, venait de la Ligue pour l’Action morale, dreyfusienne de la première heure. Il allait fonder, plus tard l’Action Française.

Les trois chefs de la Ligue de la Patrie Française, anti-revisionnistes et traditionalistes, étaient Coppée, qui avait une grosse popularité d’impériale d’omnibus, et dont on pensait qu’il rendrait à l’anti-revision les services rendus par Zola à la revision, Jules Lemaître, délégué du salon anti-révisionniste de Mme de Loynes, laquelle voulait avoir, comme le salon révisionniste de Mme de Caillavet, son Anatole France (les femmes jouèrent un grand rôle dans l’affaire), barrès, qui,