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avec Maurras et Vaugeois, donna à la Ligue sa substance spirituelle. Le rôle de la Ligue au moment de l’élection de Loubet, son effondrement électoral de 1902, le scandale Syveton, soutirèrent de la Patrie Française toute cette substance spirituelle. Il n’en resta pas même ces cadres de « petits » qui de l’autre côté ont permis à la Ligue des Droits de l’Homme de subsister comme organisation politique, annexe de la maçonnerie.

Les deux Ligues furent un moment les quartiers généraux des idées de cette époque. Leurs listes de noms, très parlantes, servent à classer ces idées, elles forment la carte d’une génération intellectuelle. Voici les traits principaux de cette géographie :

1° Le rajeunissement du vieux relief des divisions religieuses, rajeunissement lié d’ailleurs : à la vie de la Troisième République, — à l’entrée des Juifs dans la vie intellectuelle française ; — à la politique des catholiques et des partis de droite de 1871 à 1890, qui a posé devant le pays le problème de 1830, celui du « gouvernement des curés » et propagé, surtout sous la robe monacale, l’espèce des curés de gouvernement ; — à la politique inverse des cadres républicains qui, à partir de 1880, confient généralement au protestantisme libéral le spirituel de l’Université et la direction des grandes écoles pédagogiques ; — à l’obligation où se trouvent les familles traditionalistes et catholiques, évincées des situations politiques et administratives, de rester terriennes, mondaines et militaires, et de se faire une conception du monde et de la vérité qui réponde à ce genre de vie ; — à la bonne conscience morale et à l’expression littéraire qui, florissantes dans une élite nombreuse et cultivée, aident à construire des idéologies qui légitiment, éclairent, idéalisent ces conceptions spontanées du monde, de l’esprit, de la France ; — au déclanchement enfin des impulsions religieuses héréditaires, aux morts qui parlent. Les familles, les consciences, les écoles, l’État ont été pendant quatre ans le lieu de tels dialogues, de pareils conflits. Jamais aucune génération n’avait trouvé une occasion aussi magnifique de clarifier et d’opposer les idées de la France.

L’issue de la bataille n’est pas moins instructive que la ba-