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II
LE ROMAN

Le roman après 1885 témoigne d’une décroissance de la création littéraire, ce qu’il exprima d’ailleurs d’une manière très positive, transformant la défaillance du roman en un roman de la défaillance, utilisant ce reflux comme force motrice, s’exprimant sous les formes plus intellectuelles que vitales du roman personnel, du roman d’analyse, du roman-thèse et du roman-mythe qu’ont renouvelés les écrivains et romanciers considérables de ce temps, Loti, Bourget, France, Barrès, Gide.

Le roman personnel, c’est-à-dire l’autobiographie transposée, est, depuis Rousseau, une vieille tradition de notre littérature. Le réalisme de Champfleury et des Goncourt y avait taillé ses larges « tranches de vie ». Le naturalisme lui ouvre une route illimitée, fastidieuse, toujours fréquentée, et en somme il la démocratise : le petit écrivain raconte sa petite vie, celle de son bureau, de son bataillon, de son école, de ses restaurants, de ses maîtresses. Mais il arrive qu’un grand écrivain tout en partant de ce registre, le transcende infiniment, et par son genre de style et par son genre de vie, ce fut le cas de Loti.

Loti.
Pierre Loti est un marin protestant, de cette vieille Hollande française que fut le pays de La Rochelle et de Rochefort, et, comme beaucoup de protestants, comme Constant, comme Amiel, il eut de bonne heure la pratique du journal intime. Sa vie de marin, le souci naturel de garder quelque souvenir de tous les points du globe où son métier le menait, confirmèrent, nourrirent, enrichirent ce goût