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tiquement cet objet, de le transposer délicatement dans sa sensibilité et dans celle des autres, en d’autres termes un roman artiste. Le roman artiste est une tradition solide du roman français, et remonte en somme dans le XIXe siècle à Gautier d’une part, à Mérimée d’autre part. Son problème a été vécu à plein par Flaubert, dont il ne faut pas oublier que l’influence est prépondérante de 1885 à 1914, et bien plus grande que celle de Balzac.

Le roman artiste se marie d’ailleurs fort bien à l’autobiographie ; cet habit peut sembler, sur le corps de l’auteur, aussi transparent qu’un autre. Anatole France en devient et en reste pendant toute cette période le chef et le patron, et quand Barrès se préoccupe de France, ce sont bien deux natures du roman qui s’opposent comme deux natures de la politique. On verrait une antithèse analogue, dès les bancs de l’École Alsacienne, entre André Gide et son camarade de classe — le premier de la classe — Pierre Louys.

Il y a en effet un roman artiste, qui est une manière de roman du premier de la classe. Aphrodite en fournirait presque le type. Dans une littérature où il y a Salammbô et Thaïs, soit Corneille et Racine, Aphrodite fait figure de tragédie de Voltaire. Il est curieux qu’il ait subsisté, pour un certain public, comme une manière de roman nudiste sous des bijoux, qui se passerait dans un Marseille d’autrefois ; le meilleur roman de Pierre Louys, serait plutôt la Femme et le Pantin, d’une belle narration sèche, et pas plus truqué en somme que tous les romans français à l’Ollé ! Ollé ! qui se disent espagnols, et que nous n’avons pas qualité pour démentir.

Louys fut avec Régnier et Maindron un des trois gendres de Hérédia, et la noble maison du conquistador bibliothécaire peut passer, dans cette génération, pour la maison même du roman artiste. La Double Maîtresse et le Passé Vivant peuvent valoir pour des chefs-d’œuvre du genre ; et de ce genre le second de ces romans fournirait peut-être la clef psychologique — psychologie du don de vivre en sympathie avec le passé. Les romans de Régnier sont d’ailleurs fort inégaux. On trouvera moins de style et plus de vie dans ceux de sa femme, Marie de Hérédia, qui a pris ou repris son nom de Gérard d’Houville à un de ses ancêtres normands : son Sé-