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sive et signifiante, de lui faire dessiner une grande courbe lumineuse, d’en projeter les attitudes sur un horizon éternel. Songeant à la carrière d’Alexandre et à celle de Napoléon, il a écrit : « La destinée d’un grand homme est une Muse ». Les Mémoires d’outre-tombe figurent l’effort le plus puissant et en somme le mieux réussi qu’ait fait un familier des Muses pour en incorporer une à sa destinée. Le poète ici l’a atteinte et a triomphé, mieux que l’amoureux n’a possédé sa « sylphide ».

Nous tenons aujourd’hui, comme y ont tenu les contemporains, à maintenir dans le paysage de Chateaubriand cette fumée auguste d’autel antique. Cette volonté de décor, cette tension d’un dedans vers un dehors, ont réussi. Ils ont réussi parce que le dedans est authentique, et qu’avec certaine clef nous le sentons vivant. Et s’ils ont réussi auprès de nous, ils avaient réussi mieux encore auprès de ses héritiers.

Rayonnements.
Chateaubriand a créé un style du génie romantlque, comme Louis XIV a créé un style de la royauté. Et les deux styles se ressemblent. Avec Ferney, la monarchie d’un homme de lettres avait revêtu le corps d’une résidence à la Versailles. Restait à lui donner l’attitude, les mœurs et l’âme d’une royauté. Avec Voltaire, Chateaubriand, Lamartine et Hugo, ou, plus précisément, depuis l’installation de Voltaire à Ferney jusqu’aux funérailles de Victor Hugo, sont posés au cœur de la littérature française un problème, un décor, une destinée de la monarchie littéraire.

Si Voltaire lui a donné, comme Henri IV, son élan de bataille, son sang militant, son pathos, Chateaubriand lui a créé comme Louis XIV, son décor, son style, son ethos.

Et ce royaliste littéraire n’est pas impunément le contemporain de Napoléon. Il a rempli un rôle impérial. Son voyage d’Amérique, sinon son voyage d’Orient, a suffi pour annexer un nouveau monde aux lettres. Il a signé par le Génie du Christianisme le Concordat des deux antiquités. On peut sourire du parallélisme Napoléon-Chateaubriand maintenu impavidement tout le long des Mémoires. Reste qu’une des grandeurs du romantisme, c’est précisément cette référence à la destinée de Napoléon qu’on voit chez un Lamartine, un. Balzac, un Hugo, cette ambition que met le poète à trouver