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les manies de l’auteur, un style dynamique, qui, d’un index lancé en vrille, va toujours à l’assaut de quelque chose ou de quelqu’un, et sur la robe antique duquel on peut lire Argumentabor.

Bourget.
Paul Bourget, exactement le contemporain et le camarade de Brunetière, a marqué dans la critique de son temps par les importants Essais et Nouveaux Essais de psychologie contemporaine qui furent une date. Dix études sur dix écrivains de la génération précédente : Baudelaire, Renan, Taine, Flaubert, Stendhal (en tant que connu en 1880), Tourgueneff, Dumas, les Goncourt, Leconte de Lisle, Amiel, analysés, contrôlés, jugés par un disciple, par un successeur, qui établit le bilan de l’héritage intellectuel et moral qu’ils lui transmettent. L’intérêt de ces Essais est à peu près épuisé, et le style massif de l’auteur ne contribue pas à les faire relire. Mais ils ont habitué l’opinion littéraire à penser par générations. Avoir vingt ans en 1870, établir vers 1882 un tableau des Vingt ans en 1850, intenter, avec respect et admiration d’ailleurs, une manière d’action en responsabilité aux écrivains du Second Empire, ce que Taine avait fait en somme dans les Philosophes français pour le secteur philosophique de la génération de 1820, c’était, pour Bourget, donner un exemple important, que la génération suivante devait suivre. C’était fournir à la critique un lieu commun utile. Les deux volumes d’Essais (lus dans la première édition) sont d’ailleurs la seule partie qui importe de l’œuvre critique de Bourget : le reste appartient sinon au romancier, du moins au doctrinaire conservateur.
Le retour des normaliens.
Le cas de Sainte-Beuve mis à part, la génération de 1885 est peut-être celle qui a été le mieux pourvue de critiques solides et originaux, dans un sain équilibre d’aînés et de jeunes. Des aînés, des Vingt ans en 1870, de la volée de Brunetière et de Bourget, on devra distinguer ceux qui, de quinze à vingt ans plus jeunes, ont été formés par les mouvements et les révolutions littéraires postérieures à 1885. Voilà la seule génération normalienne qui ait tenu le sceptre ou la férule de la critique.