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Sarcey.
La grande volée de 1848-1850, désignée pour faire la relève de Sainte-Beuve, avait été happée par l’appel d’air de plus ambitieuses destinées, qui lui réussirent mal. Elle n’eut qu’un critique pur, Sarcey, et Sarcey ne réussit que dans un coin particulier de la critique, la critique dramatique, et il n’arriva à l’autorité que vers 1880, c’est-à-dire vingt ans après ses débuts dans le feuilleton. Il a été le maître de cette critique, qu’il a fondée sur ces quelques idées simples, courtes, inusables : que le théâtre est le théâtre, que par conséquent ce n’est ni le livre, ni la littérature, ni la poésie, — que quinze cents personnes dans une salle devant une scène forment un être nouveau, dont il appartient au critique de prendre la mesure, de comprendre et de partager les réactions — que c’est en les partageant qu’il les guidera (et le feuilleton de Sarcey est le seul qui ait eu de l’influence sur la recette des théâtres) — qu’il y a non des règles, mais un certain nombre de nécessités empiriques contre lesquelles l’auteur ne peut pas aller sous peine de manquer son but, c’est-à-dire de ne pas plaire, puisque plaire reste, comme au temps de Racine et de Molière, et la loi et les prophètes. Sarcey, lui, plaisait. Il avait la verve et la vie, il était copieusement fourni de ce tremplin indispensable que sont les ennemis et ce « professeur et journaliste » a laissé une œuvre. Il a renouvelé sur certains points — Corneille, Molière, Regnard — la connaissance du théâtre classique, en ne l’étudiant plus du point de vue littéraire, mais du point de vue de la technique dramatique. D’autre part, représentant de la génération d’Augier et Dumas, il comprit mal la révolution dramatique inévitable, qui leur succédait. Il fut, contre le Théâtre Libre, du parti de la résistance. Il resta toujours devant Shakespeare plus réservé que le public, s’obstina à ne rien entendre à Ibsen, justifia parfois la figure de délégué officiel au philistinisme que lui attribuait sa légende.
Weiss.
Au Temps font pendant les Débats. En plus de quarante ans, de 1830 à 1870, Jules Janin, le « prince des critiques » se glorifiait d’y avoir écrit deux mille deux cent quarante feuilletons hebdomadaires. Deux mille deux cent quarante sacs de papier, de vent, de niaiseries, de truquage. La maison où Geoffroy avait fondé la critique dramatique