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En principe les Contemporains relèveraient de l’exemple des Essais de psychologie contemporaine de Bourget. Lemaître est un de ces normaliens émancipés, promis de bonne heure à la littérature, dont la solide culture forme un acquis, un passé, qu’ils respectent, mais qui ne les intéresse plus bien profondément, et par dessus lequel ils sont impatients de sauter pour entrer dans le contemporain. De cette littérature contemporaine, Lemaître sait comprendre, sentir, juger au moins les chefs de file et les arrivés. Il les caractérise avec pondération, finesse, esprit, sans y porter d’ailleurs le long rayon, le rayon jaune, de Sainte-Beuve. Son étiage c’est Sully-Prudhomme et Paul Bourget : rien donc de révolutionnaire, et il n’a jamais découvert personne, ou ses découvertes ont été malheureuses. Mais, même quand il s’agit d’écrivains qu’il ne goûte pas, comme Zola, ses exposés sont intelligents, lumineux, spirituels, et les mots de fin et d’exquis viennent naturellement aux lèvres du lecteur. Tels éreintements de Richepin et d’Ohnet restent des chefs-d’œuvre du pamphlet littéraire, à mettre à côté du Pontmartin de Sainte-Beuve. Son Renan, qui lorsqu’il parut dans la Revue Bleue le rendit célèbre en une journée, montre bien ses limites, et que Renan ou Taine c’était trop fort pour lui. Mais l’essentiel, pour triompher, était de faire « dépasser » Renan par le lecteur et surtout par la lectrice : un Renan pour les dames chez qui Renan dînait.

Des quatre livres que Lemaître eut à écrire, comme conférencier, à partir de 1907, pour les lire devant un public mondain, trois, le Rousseau, le Chateaubriand, surtout le Fénelon, restent circonscrits dans ce genre de limite. Mais le Racine est presque resté un des classiques de la critique française. Il a installé Racine comme Sainte-Beuve avait installé Port-Royal. Il a réussi un composé où collaborent le génie des lettres françaises et le XVIIe siècle, le sens des hommes et des femmes, et celui du théâtre, qui manquait à Saint-Beuve.

Faguet.
Faguet a connu, comme Brunetière, la littérature française par le dedans. Il y a percé moins de grandes routes, mais a battu davantage les petits chemins, faisant lever un vol de petit gibier : idées, suggestions, constructions. Ses livres sur le XVIIIe et le XIXe siècle, ses Politiques et Moralistes du XIXe siècle, ont jeté sur le