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Brieux.
L’amateur à qui le style des personnages d’Hervieu eût fait regretter Scribe trouvait satisfaction chez Brieux, dont le style était dépourvu de toute prétention. Brieux mena une carrière de fort honnête auteur dramatique, lui qui comme dit Diderot, prêcha la population, et toutes les classes de la population, sur les problèmes du jour et parfois de toujours, l’instruction laïque et obligatoire (Blanchette) les maladies fâcheuses (Les Avariés), la maternité (Les Remplaçantes), la charité officielle (Les Bienfaiteurs), la magistrature (La Robe Rouge), l’éducation des filles (Les Trois Filles de M. Dupont), ce que doit être la femme de France (La Française), théâtre qui a trop fait de bien pour qu’on en pense du mal, et dont il ne reste rien dont on puisse penser quoi que ce soit.
Théâtre de combat. Mirbeau.
Il serait peut-être expédient de distinguer dans le théâtre d’idées le théâtre de combat. Le théâtre de Curel et d’Hervieu, qui met les questions sur la table, sur la scène, sans vouloir les résoudre plus que ne les résout la vie, pencherait vers le dialogue, d’où peut-être quelque froideur. La pièce à thèse appartient au théâtre de combat, et le Tue-la ! qui est à l’origine de la Femme de Claude marque avec évidence un point plutôt vif de l’esprit de combat. La plupart des pièces de Brieux tournent à la pièce de combat.

La dramaturgie de dialogue et la dramaturgie de combat purent être comparées quand la même saison vit sur deux théâtres, en 1897-98, le Repas du Lion de Curel, et les Mauvais Bergers, pièce d’ailleurs remarquablement manquée, de Mirbeau, sur le même sujet : une grève. Mais c’est surtout dans les Affaires sont les Affaires (1903) et dans le Foyer (1908) que Mirbeau déchaîne sur les planches sa combativité de publiciste anarchique, incohérent et violent. Les Affaires sont les Affaires, où Mirbeau a créé avec Isidore Lechat une vivante et violente figure d’homme d’argent déchaîné sur la scène exactement comme il est déchaîné dans la société, ont mérité de rester à la Comédie-Française une des grandes pièces du répertoire, une des rares qui aient tenu depuis trente ans.