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dialogue que d’action, de caricature que d’observation, et d’où l’auteur, quand il est doué, s’évade à un moment donné vers la comédie de mœurs.

La comédie de Meilhac-Halévy, la revue de Marcelin tiennent comme leur principal champ d’observation le monde du plaisir : sinon « s’en mettre jusque-là », comme le baron de Gondremark, du moins s’y mettre, y circuler, informer le spectateur ; même, pour qu’il ait tout vu, le moraliser.

Le théâtre de Lavedan figure dans cette famille dramatique une sorte d’aîné. Aucun n’a trouvé en son temps plus de faveur dans le public parisien, pour son dialogue, ses mots, son sens du spectateur moyen, et aussi, et surtout pour son artificieux bilatéralisme. Lavedan a fourni au répertoire des Variétés quelques-uns de leurs grands succès, ses dialogues, mis en comédie, du Nouveau Jeu (1898) et du Vieux Marcheur (1899), portraits brillants et pétillants, l’un du jeune fêtard riche, l’autre du vieux sénateur libertin, plus riche encore. Mais au Théâtre-Français il donnait des pièces sociétaires où la morale tombait de haut, le Prince d’Aurec, le Marquis de Priola, le Duel, Servir, Catherine, d’ailleurs bien faites et installées solidement au répertoire de la Maison. Ce théâtre en partie double, conformiste à un bout de la rue de Richelieu, et libertin à l’autre bout, entre la chaire de Dumas fils et la « folie » de Regnard, paraîtra à l’historien aussi exactement bourgeoisie républicaine de 1900 que celui de Meilhac et Halévy était bourgeoisie impériale de 1867. Le monde est petit.

Même pli en somme dans le théâtre de Donnay qui eut Lysistrata (1892) et Éducation de Prince (1900) mais dont l’effort vers un théâtre élevé bifurque dans la direction du théâtre d’amour plutôt que dans celle du théâtre moral. Malgré une production abondante et brillante, Donnay est resté l’auteur d’Amants (1896) comme Porto-Riche était resté l’auteur d’Amoureuse. Comme Hervieu, il y a pris le parti de la femme, de la passion et du cœur. Comme Hervieu et Bataille, il a tenté sinon le théâtre d’idées, du moins la difficile « pièce de l’intellectuel » dans le Torrent. Son association avec Descaves a été en ce point assez heureuse dans la pièce social de la Clairière et dans la meilleure pièce franco-russe qu’on ait écrite, Oiseaux de passage.