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ques précédentes, si ce n’est au temps du théâtre écrit de 1820. Cette remarque s’applique mieux encore à la carrière de trois auteurs qui ont donné des pièces célèbres sans vocation exclusive pour le théâtre, Georges Courteline, Jules Renard et Tristan Bernard.

Courteline. Renard
Tristan Bernard
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Courteline n’a jamais écrit une comédie, pas plus que, même dans le Train de 8 h. 47, il n’a écrit de roman. Une seule de ses pièces a plus d’un acte, c’est Boubouroche, qui en a deux. Il lui a suffi de Boubouroche et de quelques pièces en un acte pour occuper le théâtre en maître, un maître du rire plus grand que Labiche, par son dialogue, son style et son mouvement. Comme celui de Labiche, son comique est lié à l’existence, au genre de vie de la bourgeoisie, du bourgeois moyen, mais non plus, comme chez Labiche, du bourgeois moyen vu de chez lui. Courteline le voit, l’observe, l’exprime, du point de vue même du lieu où il le rencontre, et qui est le café. Comme Rabelais, Courteline est un grand écrivain français sans les femmes. Il n’y en a qu’une dans son théâtre : l’Adèle de Boubouroche, comme la caissière, dans le café de quartier où Courteline et les Courtelins ont élu le domicile de leur soirée, suffit à représenter son sexe. À l’Ami des Femmes, Courteline oppose l’Ami des Lois, La Brige, ce célibataire anticlérical, et grand comme le monde. Les deux lieux d’élection les plus célèbres du comique courtelinesque, avec le café, sont encore deux milieux sans femmes : la caserne et les bureaux, la caserne d’avant la guerre et les bureaux d’avant la dactylo. Si la guerre, la dactylo, la ruine du café de quartier, n’ont pas déclassé le comique de Courteline, c’est que Courteline l’avait, comme Rabelais et Molière, bâti sur le roc. Il a des ennemis, mais ce sont des ennemis du rire, des jeunes gens qui, comme le vieux Fontenelle, n’ont jamais admis qu’on pût faire Ha ! Ha !

Jules Renard est un des plus grands écrivains de son temps, et, comme Courteline, un des rares dont les œuvres complètes tiendront peut-être en bloc. Il a écrit dans son Journal le plus étonnant et le plus passionnant procès-verbal de la vie d’un littérateur qui existe, avec le Journal des Goncourt. Ses œuvres d’apparente fiction sont tirées plus ou moins de ce Journal,