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de balzacisme qu’un nombre inattendu de romanciers, au tournant de 1930, se sont attachés à cette chronique non plus discontinue, mais continue, et longuement continue, d’un groupe compact : le roman-fleuve ?

Pas précisément. Le roman-fleuve, ou plutôt le roman-cycle, avait donné l’une des œuvres les plus célèbres du début du siècle : Jean-Christophe. C’est à lui qu’on peut rattacher aussi la Recherche du Temps perdu. Mais les romans de Rolland et de Proust sont des biographies, écrites, plus ou moins, à la mesure d’un individu. Quand la nature a fait, par l’humanité, quelque chose d’analogue au roman-cycle, elle ne s’est pas servie de l’individu, elle s’est servie de la famille, c’est-à-dire de réalisations individuelles ou contradictoires, jaillies d’un même centre et participant d’un même élan. À côté et au-dessus de la famille naturelle la société a créé le groupe, a procédé par groupes. De là, en y joignant le roman de la vie individuelle dans sa multiplicité et ses complications, trois formes de roman-cycle, trois groupes de romans-cycles, tous trois en cours de publication à l’heure où nous écrivons ces lignes, et qui, s’ils sont terminés, figureront à eux tous, par leur ensemble, par leurs contrastes, par leur cyclisme du second degré, le témoin le plus considérable du roman français de cette époque.

1° Individuel.
Le roman-cycle, centré sur la vie individuelle (et c’est le cas de Rolland et de Proust) trouve difficilement dans l’individu de quoi se recruter et se nourrir. Aussi Jean-Christophe et Marcel nous intéressent-ils beaucoup moins que les personnages secondaires, dont le passage fait vraiment vivre l’œuvre, et nous voyons même dans le Temps perdu le personnage qui dit Je réellement mangé par l’immense Charlus. Des romans-cycles en cours, le seul qui soit centré sur la vie d’un individu est le cycle, très inégal, que René Béhaine a intitulé Histoire d’une Société, et, comme les deux précédents, il est concerné par cette remarque.
2° Familial.
L’histoire d’une famille dans une durée qui peut aller d’une à trois générations, est évidemment le cadre le plus normal d’un roman-cycle, celui qui est proposé et presque imposé au romancier par les articulations de la nature. Aussi a-t-il fourni l’ordinaire du genre.